La richesse des vacances

Partir en vacances est devenu la règle. La mobilité saisonnière se transforme en un repère stable de la société. Ce moment, qui reste un formidable réservoir d'énergie sociale, est aussi créateur de richesses.

Chaque année entrent en France plus de touristes que ce pays ne compte d'habitants (plus de 65 millions). La France est la première destination mondiale. Le chiffre d'affaires du secteur est supérieur à celui de l'agriculture ou de l'automobile, même s'il est difficile à cerner exactement. Car, là où il va, le touriste pratique la vie locale, certes à sa manière, mais il ne consomme pas des choses dont il serait le seul usager. Son poids économique est donc difficile à mesurer avec précision.

Rappelons d'abord que dix millions de Français - personnes âgées, paysans, jeunes de banlieues... - ne partent pas en vacances. De plus, partir « pendant » les vacances ne saurait être une obligation. Près de 15 % des Français déclarent n'avoir pas envie de partir l'année où on les interroge. Mais il y a une forte réserve de désir inassouvi de départ. D'autant que dans les milieux populaires, la durée des séjours tend plutôt à se réduire malgré la cinquième semaine de congés payés octroyée en 1981. Aussi ne faut-il pas confondre vacances, voyage et tourisme.

Car la première destination de vacances est le domicile ordinaire. La seconde, au fond, est le déplacement du domicile ordinaire vers le soleil, à la mer ou à la campagne, à peu près à égalité. Vacances de sédentaires qui déplacent les lieux de la consommation et modifient le temps et la manière des habitudes privées.

Car ceux qui partent, à plus de 70 %, le font en « tribu » amicale, familiale, hors du secteur des professionnels organisés, dans des résidences secondaires (souvent louées au noir), chez des amis, des parents... Le secteur des marchands de voyage est important mais plus pour le lointain que pour la France, et de toute manière, il pèse moins que la logique de « tribu ». Aussi ne faut-il pas confondre les publicités des professionnels avec nos vacances. Nous, c'est plutôt couple, soleil, transat, polar, enfants et boules. Eux, lointain, découverte, image, culture, golf.

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Un secteur à un tournant de son histoire

En outre, le tourisme est massivement une activité de retraités qui, par définition, n'ont plus de vacances - au sens où leur temps entier est vacant -, ou une activité d'affaires qui, pareillement, ne prend pas sur le temps de vacances. Ainsi, nous sommes face à une galaxie de gestes et de pratiques dans laquelle souvent les mots des professionnels, ou les catégories des statisticiens, ne sont pas ceux qui nous font rêver.

Le tourisme et les vacances sont à un tournant de leur histoire. Non que la continuation de leurs développements puisse être remise en cause. Mais ils sont devenus des pratiques sociales banalisées, courantes et ritualisées d'une société urbaine, mobile et mondialisée. Ainsi, c'est l'entrée dans l'ère de la banalité et de la répétition qui marque le principal tournant de ce mode de rapport au temps et à l'espace qui n'est vraiment devenu populaire et massif que dans les années 70. Nous sommes aujourd'hui face à un mode d'organisation sociétale qui a profondément intégré dans l'organisation de son espace et de ses temporalités « la norme vacancière ». Partir en vacances est devenu la règle, ne pas partir un problème, symptôme d'une position marginale ou des prémisses d'une exclusion. Ce, alors que hier encore, partir en vacances était un événement, voire un privilège.

Notre société s'est adaptée après-guerre, en trente ans, à une culture nourrie de mobilités saisonnières. Dans une société bousculée par la profonde mutation que nous vivons, les vacances et les voyages apparaissent aujourd'hui comme des repères stables qui rythment notre temporalité collective, et ressoudent dans nos vies privées des modes de vie familiale de plus en plus fragilisés. Reprenant pour partie les fonctions des grands rituels collectifs anciens, religieux ou sociaux, les vacances sont devenues un temps collectif alternant avec celui de la vie active. Les rythmes sociaux, hier portés par le temps religieux et les fêtes républicaines, ont été quasi subvertis par celui des vacances. L'alternance territoriale ville/campagne, mer, montagne paraissant alors comme le double de l'alternance temporelle travail/congés.