La santé : bien public mondial ou big business ?

Accroissement des inégalités de santé dans le monde, questionnement sur l'efficience réelle de l'OMS, affrontements entre lobbies pharmaceutiques et associations de malades : de la convergence de ces problèmes s'impose peu à peu l'idée de nécessaires partenariats entre tous les acteurs publics et privés de la santé.

Des progrès considérables dans le domaine de la santé ont été accomplis durant la seconde moitié du XXe siècle : le taux de mortalité infantile est passé de 148 ä en 1955 à 57 ä en 1997. Dans la même période, l'espérance de vie s'est allongée de 18 années 1. Mais les enquêtes et rapports sont formels, ces moyennes mondiales occultent un phénomène massif qui ne se limite pas à la santé : celui de l'inégalité croissante du monde.

Les inégalités, une menace pour la santé

Les inégalités sanitaires, économiques, politiques ou d'accès à l'éducation ont en effet augmenté de manière spectaculaire durant les vingt dernières années. L'écart entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres serait passé de 1/30 vers 1950 à 1/78 à la fin des années 90. Cette pauvreté, qui s'accompagne souvent de précarité et de vulnérabilité, constitue une menace pour la santé.

Au-delà de cette approche classique de l'impact des inégalités sur la santé naît aussi l'idée que l'inégalité serait en quelque sorte elle-même pathologique. L'inégalité affecterait non seulement la santé des pauvres mais aussi celle des riches, par le stress et les comportements agressifs et violents qu'elle induit, dans le contexte d'une société de consommation que certains jugent « provocante », marquée par une certaine « culture de la peur 2 ». Pour témoin de cette inégalité pathogène, les analystes prennent « la coexistence de la sous-consommation et de la surconsommation, de la malnutrition par excès et par défaut 3 » : selon le rapport OMS 2002, 170 millions d'enfants des pays pauvres ont un poids corporel insuffisant et plus de 3 millions d'entre eux en meurent chaque année, tandis que plus de 1 milliard d'adultes dans le monde présentent une surcharge pondérale et que 300 millions sont cliniquement obèses.

Le tableau pourrait encore s'assombrir... La tendance, dit-on, est à l'accroissement des inégalités. En Afrique, dans certaines régions des Antilles et dans les pays d'Amérique centrale, ainsi que dans quelques anciennes républiques de l'URSS et en Asie du Sud (Inde, Sri Lanka, Pakistan), la situation s'est détériorée depuis 1997 : l'espérance de vie a baissé, les écarts avec l'Occident se sont accentués. « Des indicateurs plus spécifiques sur les taux de vaccination, les méthodes de contraception, l'infection par le VIH ou des indicateurs généraux comme le nombre de médecins par habitant ou le pourcentage des dépenses de santé dans les budgets vont tous dans le même sens et sont disponibles dans les différents rapports mondiaux », précise le socioéconomiste Dominique Gentil 4.

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Ces inégalités sanitaires trouvent leur origine dans une pauvreté accrue, la sous-alimentation et la malnutrition, l'absence de développement sanitaire et l'accès difficile aux médicaments essentiels, mais aussi dans les conflits meurtriers et la propagation incontrôlée d'épidémies comme le sida qui contribuent à désorganiser les sociétés. En Afrique, l'impact de l'épidémie est dévastateur et lourd de conséquences pour l'avenir. Dans un rapport publié en juillet 2002 à l'occasion de la conférence de Barcelone consacrée à la prévention du sida, la Banque mondiale estime que, « dans les pays où l'infection est très haute, le virus du sida tue les enseignants plus vite qu'ils ne peuvent être formés 5 ».

Avec la multiplication des voyages internationaux et le risque de diffusion d'épidémies, la mondialisation atténuerait un peu l'idée d'un clivage entre Nord et Sud : le sida et le sras n'ont-ils pas suscité un important effort de recherche, une mobilisation du corps médical et des médias, sous la pression d'organisations et d'associations de patients ? Le partage s'arrête là... Le sida a été plus ou moins jugulé au Nord, mais il continue de se répandre au Sud, en particulier en Afrique et en Asie. En 2002, 95 % des personnes séropositives vivaient dans les pays du Sud, dont 29,4 millions, soit 70 %, en Afrique subsaharienne. D'autres maladies, telles que le paludisme, l'onchocercose, la bilharziose, la trypanosomiase, n'ont pas suscité tant d'efforts et de réactions...