l y a quelques années, le prix Nobel de physique Georges Charpak avait conçu un curieux projet d'archéologie sonore : il s'agissait d'explorer électroniquement les sillons gravés par les artisans néolithiques sur des tessons de poterie dans le but, improbable mais fascinant, d'en extraire un bout de mélodie, une exclamation ou peut-être même une parole inscrite par l'outil dans la terre molle sous l'impulsion de la voix du façonnier, ou de celle de son épouse appelant à dîner...
Jusqu'à un certain point, l'entreprise de Françoise Waquet peut se comparer à celle-ci, car faire l'histoire de la parole vive, par définition envolée, exige quelques malices techniques. Mais là s'arrête aussi la comparaison : le monde où elle nous entraîne est moderne. La communication orale y coexiste depuis cinq siècles avec l'imprimé et depuis plusieurs décennies avec bien d'autres médias. Il est donc possible, à travers l'archive, non pas de retrouver la parole elle-même, mais les rapports, les commentaires et les jugements qui ont été faits sur elle.
Le travail de F. Waquet s'ouvre sur une interpellation. Si tant d'études historiques ont été produites sur l'écrit, son invention, ses formes, ses effets et la croissance exponentielle de l'imprimé, pourquoi en trouve-t-on si peu sur la parole et la transmission verbale ? C'est qu'une forme de « grand partage », explique-t-elle, s'est installée entre les historiens de la culture, pour lesquels en dehors de l'écrit rien ou presque ne vaut étude, et les folkloristes et amateurs de traditions, pour qui tout propos saisi au micro vaut littérature. D'où cette partition selon laquelle l'écrit est savant et l'oral populaire. L'essentiel de la thèse développée par F. Waquet est la démonstration du contraire : « Dans la civilisation de l'imprimé, le monde intellectuel a non seulement beaucoup parlé, mais il a manifesté une confiance durable dans une oralité qu'il a investie d'une forte valeur cognitive. » Restait à le montrer, à l'enrichir, à l'illustrer et, pourquoi pas, à l'expliquer, toutes tâches dont F. Waquet s'acquitte avec brio et, il faut le dire aussi, avec la conviction de qui a le sentiment d'avoir exhumé un trésor négligé, une technologie jugée marginale mais douée, en réalité, d'une importance fondamentale.