La transition démographique

Pendant des années, la théorie de la transition démographique a expliqué l’accroissement de la population mondiale. Aujourd’hui, des experts contestent son caractère global. Leurs analyses désamorcent l’idée d’une bombe au bord de l’implosion.

De quoi s’agit-il ?

La transition démographique est une théorie bien connue, inscrite dans les manuels d’enseignement du secondaire depuis plusieurs années. Elle explique, pour un pays donné, le passage de taux de natalité et de mortalité élevés, ce que l’on appelle un « régime démographique traditionnel », à des taux faibles (régime démographique dit « moderne »). Dans un premier temps, les progrès sanitaires réduisent la mortalité, en particulier celle des jeunes enfants. La population s’accroît. Dans un second temps, les progrès sociaux, comme la scolarisation, ouvrent d’autres horizons que la procréation, notamment pour les jeunes femmes. L’âge du mariage recule, celui du premier enfant aussi. La natalité diminue à son tour. Un nouvel équilibre s’établit : la population continue de croître très lentement ; la mortalité et la natalité sont faibles.

Avant et après, l’accroissement naturel est presque nul. Le « boom démographique » n’intervient qu’au moment de la transition. Le modèle suppose que toutes les populations dans le monde connaîtront ce phénomène, avec quelques décalages dans le temps. La transition démographique est souvent caricaturée comme l’archétype du développement humain ou comme une « loi de population ». La réalité est plus complexe.

Les démographes ont ajusté la théorie pour qu’elle corresponde davantage aux spécificités de chaque pays. Mais dans un récent ouvrage, deux d’entre eux, Maryse Gaimard et Yves Charbit, lui portent un coup qui pourrait bien être fatal (La Bombe démographique en question, 2015). Leur argument : si la plupart des régions du monde ont connu une telle évolution, les raisons qui l’expliquent sont fort diversifiées. Elles dépendent des contextes sociopolitiques et historiques locaux. Le modèle abstrait de la transition démographique peine à rendre compte de la réalité. Les auteurs contestent en particulier deux présupposés de la théorie. Le premier est sa prétention universaliste, supposant que toutes les sociétés doivent s’aligner un jour ou l’autre sur les comportements occidentaux. Le second est son caractère tautologique, car la théorie en soi ne permet pas de comprendre pourquoi la mortalité et la natalité diminuent, ainsi que le lien existant entre les deux phénomènes. Aujourd’hui, la bombe démographique se désamorce principalement par le ralentissement des naissances, et non plus par la diminution de la mortalité.

Alors faut-il expédier la théorie aux oubliettes et s’en remettre à des analyses au cas par cas pour comprendre les phénomènes démographiques ? Quelle sera l’évolution future de la population mondiale, maintenant que la plupart des pays ont connu ce phénomène, à des rythmes et de manière différenciés ? L’accroissement de la population est-il une fatalité ? Sans jeter le bébé avec l’eau du bain, il semblerait que l’avenir de la population mondiale s’éclaire de nos jours au regard du devenir d’un continent, l’Afrique.

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Est-elle universelle ?

La transition démographique repose sur deux piliers : la mortalité et la natalité. Dans des pays qui se développent, la mortalité diminue sous l’effet des progrès techniques. La santé de la population s’améliore. Une situation qu’ont bel et bien connue la plupart des pays occidentaux, lors des révolutions industrielles de la fin du 18e et du 19e siècles. L’amélioration des techniques agricoles a permis de mieux nourrir les populations, d’éradiquer les famines et les épidémies, même si les conditions d’existence, notamment au travail, restaient difficiles et l’espérance de vie limitée. La mortalité s’est réduite, plus ou moins rapidement selon les pays. Les démographes appellent « transition sanitaire » ce phénomène.

Les maladies infectieuses, comme la peste qui a décimé les populations occidentales au Moyen-Âge, laissent la place à de nouvelles pathologies : des maladies dégénératives (Alzheimer, Parkinson) ou liées au stress (burn-out, dépression, suicide) et au mode de vie moderne (obésité, cholestérol, problèmes cardiaques, cancers, etc.).

Or, ce premier principe vérifié dans les pays occidentaux ne l’est pas dans le reste du monde, expliquent Maryse Gaimard et Yves Charbit. Par exemple, l’Afrique est aujourd’hui doublement frappée par des facteurs de morbidité. Les maladies infectieuses comme le sida côtoient des maladies plus « modernes » telle l’obésité dans les régions les plus développées, parfois sur un même territoire. Ebola ravage le continent 1 alors que les maladies dégénératives émergent. Dans les années qui viennent, l’augmentation de la mortalité par maladie cardio-vasculaire affectera principalement les populations les plus pauvres des pays en développement. Ces derniers concentreront les trois quarts de la population atteinte d’hypertension. 30 % des adultes en Afrique subsaharienne sont aujourd’hui déjà concernés par cette pathologie.