La triche aux examens, fraude ou incompréhension ?

Selon les sociologues, pompes et antisèches à l’université sont avant tout le résultat de malentendus entre étudiants, professeurs et personnel administratif.

La fraude aux examens est généralement perçue comme le fait d’individus manquant de moralité. À y regarder de plus près, comme l’a fait la sociologue Anne Guardiola dans le cadre de l’enseignement supérieur, on peut aussi la comprendre comme la conséquence d’un aveuglement des différents acteurs, entraînant une incompréhension mutuelle et une « méconnaissance systémique ».
Les étudiants en première année appelés à passer les examens sont souvent déçus par leurs rapports avec les enseignants. Ils estiment être mal évalués, encouragés à « recracher le cours » alors qu’ils voudraient que soient pris en compte leur engagement personnel (sérieux, honnêteté, sincérité), leur volonté (patience, persévérance, effort), leur curiosité… Ce point est contesté par les enseignants. Mais, de fait, la préparation des étudiants s’apparente moins à un travail intellectuel qu’à la mise en place de stratégies pour maximiser leurs notes en fonction des coefficients, le choix des options ou de la réputation du professeur. Car l’examen, moment évidemment crucial pour eux, est perçu comme une épreuve aléatoire (absence de barème de correction), dont ils ne maîtrisent pas les règles du jeu. C’est ce qui justifie, dans leur discours, le recours à la triche.
Les enseignants, eux, investissent mollement leur tâche de surveillance des examens. Elle ne leur apporte aucune gratification, et ils pensent qu’elle devrait être confiée à l’administration plutôt qu’à eux. En situation, on les voit multiplier les signes de distance au rôle : correction de copies, lecture, écriture, boisson, encas…, chacun de ses signes étant interprété par les étudiants comme un signe d’indulgence.
Le personnel administratif, enfin, chargé du bon déroulement de toutes ces épreuves, voit dans la fraude « un désaveu, une marque infamante pour le service organisateur et l’université ». Pour sauvegarder l’honneur, les fraudes, lorsqu’elles sont avérées, ne sont ni ébruitées ni véritablement sanctionnées. Le nombre « infinitésimal » d’étudiants effectivement punis fait de la sanction de la triche un mythe plus qu’une réalité, et laisse se développer un sentiment d’impunité.
Ainsi, selon A. Guardiola, la fraude aux examens est « avant tout le résultat de malentendus qui ne sont jamais explicités ». Chacun des acteurs a sa propre définition de la situation, d’où « une incompréhension réciproque et une situation de méfiance » qui engendrent les comportements fautifs.

• « L’aveuglement organisationnel à l’université » Valérie Boussard, Delphine Mercier et Pierre Tripier, , CNRS, 2004.