«Laissez vibrer le monde en vous !» Rencontre avec Hartmut Rosa

Face à l’accélération de nos rythmes de vie, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa propose une solution : la résonance.

1549987785_ROS.png

Paris, place du Panthéon, hôtel des Grands-Hommes. De passage en France pour quelques jours, H. Rosa vient promouvoir la traduction française de son dernier ouvrage, Résonance. Il propose une réponse à une question qu’on se pose tous : qu’est-ce qu’une bonne vie ?

Ce livre répond directement à son précédent, Accélération, dans lequel le philosophe et sociologue livre une analyse critique de la modernité. Celle-ci entraînerait des rythmes de vie rapides et changeants, avec un risque majeur, l’aliénation à l’immédiateté et la perte du sens de la vie.

Pour Sciences Humaines, le sociologue revient sur sa théorie qu’il peaufine depuis plusieurs années et les grands penseurs qui l’influencent. Il se confie aussi sur ses projets à venir, tel un livre consacré à Karl Marx. Sa pensée fine et précise donne à réfléchir sur les changements sociaux en cours.

Modernité, postmodernité, modernité avancée… Comment qualifiez-vous la période que nous traversons actuellement ?

publicité

Il y a quelques années, quand je suis devenu sociologue, le terme « postmodernité » était le plus employé. Je trouve que la définition de ce terme n’est pas claire. C’est seulement une expression par défaut : nous ne sommes plus dans la modernité. J’ai alors commencé à reconsidérer ce qui fonde la modernité. Ma réponse est l’accélération. Les sociétés modernes ne peuvent se perpétuer qu’en accélérant les mouvements qui les caractérisent, notamment l’innovation et la croissance. Elles doivent sans cesse innover et s’accroître pour que les structures sociales se maintiennent. Nous sommes entrés dans cette période depuis les années 1980. Nous ne sommes pas postmodernes car les caractéristiques de la modernité subsistent. Par contre, cette modernité se radicalise en nécessitant toujours plus d’innovation et de croissance. C’est ce que j’appelle la « modernité tardive », qui se distingue de la modernité classique.

Concrètement, comment cette modernité tardive se manifeste-t-elle ?

On peut la constater dans la vie de tous les jours, avec, par exemple, les réformes politiques. Depuis les années 1970, le progrès est lié aux changements politiques. Aujourd’hui, les réformes en cours ne sont plus justifiées par la volonté d’avoir un meilleur monde. Elles sont justifiées par la menace : si un pays comme la France, par exemple, n’entreprend pas des réformes maintenant, il ne sera pas en capacité de maintenir son système économique. Aujourd’hui, le besoin d’accélérer est une obligation, une contrainte, et non pas une promesse d’un avenir meilleur.

On peut aussi s’apercevoir de ce changement sur un plan plus personnel. Dans la modernité classique, les conditions de vie changent d’une génération à l’autre. Dans la modernité avancée, les changements sont intragénérationnels. Pour un même individu, le monde tel qu’il le connaissait hier peut être très différent le lendemain. Il y a quelques années, si vous demandiez à un jeune sa profession, il répondait : « Je suis enseignant » ou « Je suis sociologue ». « C’est ce que je suis. Mon père était boulanger et, moi, je suis sociologue ». Aujourd’hui, les jeunes disent : « Maintenant, je travaille en tant que sociologue, mais peut-être que dans quatre ou cinq ans, je changerai de profession. »