Rencontre avec Patrick Lemoine

Le nocebo, face obscure du placebo

Incontournable mais inexpliqué, le placebo déconcerte les soignants et décourage les chercheurs. Il peut même se transformer en effet nocebo ! Dans ce cas, le patient aggrave seul ses symptômes, simplement parce qu’il juge que son état va empirer.

Le terme de nocebo, étymologiquement « je nuirai », fut employé pour la première fois en 1961 par le médecin Walter Kennedy. Un patient sur quatre en ferait l’objet. Il s’agit en quelque sorte d’un placebo qui a mal tourné, puisque celui-ci, comme tout verum, peut intoxiquer, provoquer des effets secondaires (vertiges, maux de tête, diarrhées, allergies, douleurs menstruelles…) et même une accoutumance : on peut devenir « accro » à un produit totalement neutre. L’anxiété lui serait propice : faire tester un produit neutre à des patients sans leur préciser de quoi il s’agit, ni quels effets il peut produire, déclencherait des symptômes ex nihilo dans plus de 80 % des cas. Selon une recherche italienne, entendre un discours désobligeant ou menaçant augmente ainsi le taux de cholécystokinine, hormone impliquée dans la perception de la douleur. Et pour une étude cette fois florentine, un médicament pour la prostate provoque l’impuissance chez 31 % des hommes auxquels on a exposé les désagréments possibles sur leur libido, mais chez 9,6 % chez ceux qui ne sont pas avertis…

L’effet nocebo peut prendre des proportions tout à fait inattendues. En temps normal, les patients parkinsoniens voient leurs tremblements cesser instantanément après l’implantation d’électrodes dans une partie motrice de leur cerveau. Mais si on leur dit que l’installation est défaillante, ils peuvent retrouver certaines difficultés à bouger, simplement parce qu’ils croient leur mobilité compromise. Le cas suivant a même été rapporté : un prêtre était appelé dans un hôpital pour administrer l’extrême-onction à un patient mourant. Mais il se trompa de chambre. Le malade vu par erreur, qui à l’origine ne se portait pas si mal que cela, crut sa dernière heure arrivée… et décéda en un quart d’heure. Le véritable agonisant survécut quelques jours.