Religion et politique ont entretenu en Islam* 1 des rapports complexes et variés, à la mesure des immensités historiques (quatorze siècles) et géographiques (de l’Espagne aux Philippines) couvertes. Cette question se reflète d’emblée dans les regards portés sur la figure historique du Prophète Muhammad. Sa prédication eschatologique d’un Jugement dernier par un Dieu unique, créateur et tout-puissant, opposé aux anciens dieux idolâtres de l’Arabie, lui vaut l’hostilité de puissants de sa ville La Mecque. Il entraîne ses fidèles dans une « émigration » (Hégire) vers l’oasis de Yathrib, rebaptisée « La Ville » (Médine), où il s’impose comme chef de la première communauté de croyants. À partir de ce moment, la révélation coranique porte de plus en plus sur les aspects normatifs de la vie des musulmans. À sa mort en 632, Muhammad est « commandeur des croyants » : son autorité politique et spirituelle s’étend sur une bonne partie des tribus de la péninsule d’Arabie.
La phase postprophétique de l’islam est caractérisée par un processus d’extension du territoire contrôlé. L’expansion commence très tôt sous le deuxième successeur (calife) ‘Omar (634-644), avec la conquête de la Syrie (635-640), de l’Irak (636), d’une grande partie de l’Iran (640-642) et de l’Égypte (641-642). Les armées s’y installent en garnisons, qui deviendront des villes. Pour assurer l’uniformité de la parole révélée au sein des musulmans, le troisième calife ‘Uthmân (644-656) fait rassembler les versions écrites existantes dans un seul « exemplaire coranique » (mushaf). Il en envoie des copies vers les provinces, marquant ainsi la mise par écrit du Coran.
Conflits de succession
Après l’assassinat du calife ‘Uthmân, les conflits de succession provoquent de premières scissions au sein de la communauté. Ces conflits serviront, parfois des siècles plus tard, à légitimer les prétentions au califat de divers groupes. En 657, à la suite de la bataille de Siffîn entre partisans du quatrième calife ‘Alî (656-661) et du gouverneur de Syrie Mu‘âwiya, certains partisans du calife n’acceptent pas l’arbitrage et « sortent de l’obéissance », d’où le nom des kharijites. Minoritaires au cours de l’histoire, leurs communautés prônent un califat de méritocratie.
Après l’assassinat du calife ‘Alî par un kharijite en 661, la majorité accepte Mu‘âwiya comme calife. Il transforme le califat en fonction héréditaire en fondant la dynastie des Umayyades. Le second fils de ‘Alî, Hussein, est tué par les Umayyades avec ses partisans à Kerbala en 680. Cet événement devient emblématique pour les chi’ites, fidèles à la famille du Prophète (ahl al-bayt) et à leurs imâm*, descendants de ‘Alî et Fâtima, fille du Prophète. Les imâm, un seul par période, détiennent l’autorité religieuse par leur savoir ésotérique, sans aspirer eux-mêmes au pouvoir.
Après une phase de succès militaires et de consolidation administrative et étatique, le pouvoir des Umayyades (661-750) de Damas, basé sur les clans arabes, est affaibli par les clivages intertribaux et le nombre croissant de convertis non arabes discriminés comme clients (mawâlî). En ce moment de crise, la révolte du clan des Hashimides, descendants d’Ibn Abbas, oncle du Prophète, renverse l’ancienne dynastie avec l’appui de groupes chi’ites et de clients de provinces persanes. De ces Hashimides est issue la dynastie des califes abbassides (750-1258). De leur nouvelle capitale, Bagdad, les Abbassides légitiment leur pouvoir avec un règne « islamique », plus égalitaire pour tous les musulmans.