On croyait les « émeutes de la faim » révolues, appartenant à un autre siècle désormais très lointain, celui des manifestations de février 1917 à Saint-Pétersbourg et Moscou, celui des conflits du tiers-monde et de l’explosion démographique des pays « sous-développés » des années 1970. Dans la globalisation actuelle – un monde où la Chine et l’Inde sont des pays « émergents » –, les famines n’étaient plus possibles, ou alors volontairement provoquées, comme au Darfour.
Et pourtant, depuis 2006, les émeutes de la faim sont réapparues. Et plus inquiétant encore, dans des pays où l’on ne s’attendait pas du tout à les voir resurgir.
C’est au Mexique à la fin de l’année 2006 que, pour la première fois, le phénomène est devenu visible. En janvier 2007, près de 100 000 Mexicains défilent pour protester contre l’augmentation de plus de 40 % des prix de la tortilla, base de l’alimentation des classes populaires urbaines. En septembre 2007, toujours à Mexico, ce sont des milliers de manifestants qui descendent dans les rues pour protester contre l’augmentation des produits alimentaires de base. En mars 2008, on assiste à Rabat à des manifestations de rue au cours desquelles de durs affrontements avec la police provoquent la mort de plusieurs personnes. Début avril 2008 : à Haïti, au moins six personnes sont tuées et deux cents autres blessées ; en Égypte, cinq morts et trois cents blessés. En Somalie, plusieurs morts début mai 2008 dans des émeutes particulièrement violentes. En Asie centrale, à la fin d’un des hivers les plus froids depuis un siècle, le Kazakhstan – huitième exportateur mondial de blé – craint tellement des émeutes déstabilisatrices pour le pouvoir que le pays pourrait limiter, voire interdire, ses exportations de céréales. Et ce ne sont que quelques exemples dans une liste très longue.
Les classes moyennes urbaines touchées
Dans le journal The Hindu (Chennaï, ex-Madras, Inde), on peut trouver une première explication. Pradip Das, membre du personnel au sol de la compagnie aérienne Jet Airways, explique : « Je rêvais d’acheter un téléviseur, mais je n’ai plus d’économies. J’ai dû les dépenser pour acheter des produits de première nécessité (1). » P. Das gagne pourtant un salaire mensuel de 5 000 roupies (79 euros) bien supérieur à la moyenne. Mais pour la première fois, les classes moyennes urbaines sont touchées par des difficultés alimentaires. Pour la première fois, ce qui était confiné au rural invisible – la malnutrition chronique – atteint un monde de plus en plus urbain (la population mondiale est désormais à 52 % urbaine).