Le temps des scribes et des prêtres

En Mésopotamie, le temps d’un millénaire et sous l’égide d’une élite lettrée, apparaissent de nouveaux savoirs : écriture, mathématiques, astronomie, l’architecture monumentale...

Il s’appelait Esagil-kin-apli. Appelons-le Esagil 1. Mille ans avant notre ère, il a vécu à Babylone, en Mésopotamie. Esagil exerçait la fonction prestigieuse de « guérisseur du roi ». Que faut-il entendre par « guérisseur » ? Était-il médecin ou exorciste ? Sans doute un peu des deux…

Esagil est l’auteur d’un « manuel de l’exorciste » qui le situe clairement du côté des chamanes. Soigner, pour un exorciste (ou un chamane), revient à éloigner les mauvais esprits du malade à l’aide d’incantations et rituels magiques. Esagil, en tant qu’asipu (« conjurateur »), connaissait de nombreux rituels permettant de « calmer les dieux en colère », « chasser le mal » et « repousser les mauvais sorts » au moyen de cercles magiques et autres incantations.

Mais Esagil peut aussi être considéré comme un médecin, au sens où on l’entend aujourd’hui. Un recueil de diagnostic lui est attribué, dans lequel il prend soin de distinguer différents types de troubles – les maladies des bébés, des femmes enceintes ou du ventre – auxquels sont associés des remèdes spécifiques (comment arrêter une diarrhée, combattre la fièvre, soigner une infection des yeux). Sa pharmacopée recense les vertus médicinales de nombreuses plantes et pommades. Si certaines de ses préparations, comme celle à base de salive de chien pour soigner les infections, peuvent nous sembler aujourd’hui douteuses, les ethnociences 10 nous ont appris que certains remèdes traditionnels possèdent une réelle efficacité thérapeutique. Et il a été démontré que la salive de chien était bien un antiseptique efficace ! Voilà pourquoi d’ailleurs les chiens étaient vénérés dans certains temples 2.

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Les savoirs de la Mésopotamie antique forment un curieux mélange de magie et de connaissances techniques, de mythes et de calculs savants. Le guérisseur est à la fois médecin et exorciste ; l’astronome qui élabore les calendriers se veut aussi astrologue ; tandis que celui qui fait fonction d’ingénieur, d’arpenteur ou de scribe peut également assurer la fonction de prêtre.

Pour tenter de comprendre comment s’articulent ces modes de pensée, apparemment contradictoires, rendons-nous dans les palais et les temples où les savants, prêtres, scribes et autres professionnels du savoir antique exerçaient leur art.

Dans le palais d’Hammourabi

Hammourabi fut roi de Babylone au début du 2e millénaire av. J.-C. (1792-1750). À cette époque très lointaine (mille ans avant la fondation de Rome ou l’arrivée des Celtes en Gaule), la Mésopotamie était depuis longtemps une brillante civilisation urbaine riche de palais, temples, fortifications et canaux.

Hammourabi était à la fois un chef de guerre, un conquérant, qui a fait de son petit royaume un empire couvrant toute la Mésopotamie, de l’Irak au Liban actuel ; un bâtisseur à l’initiative de routes et de canaux ; un administrateur concepteur d’un système pour collecter les impôts et gérer un vaste empire ; et enfin, un législateur à qui l’on doit un des plus anciens recueils de lois écrites, le « Code d’Hammourabi ». Hammourabi fut également une sorte de messie : le représentant terrestre du dieu Marduk (grande divinité tutélaire de Babylone). Ajoutons que si Hammourabi fut aussi époux et père, cela n’avait pas du tout la même signification qu’aujourd’hui. Les rois antiques avaient une ou plusieurs épouses attitrées et de nombreuses concubines, réunies dans un harem royal. Son rôle de père avait peu à voir avec la paternité d’aujourd’hui. L’objectif premier consistait à choisir, dans sa descendance, un fils à même d’assurer la lignée dynastique, et ce choix allait rarement sans intrigues et querelles de succession. Enfin, le roi s’affichait aussi comme maître de cérémonie lors de grandes réceptions et banquets qui se déroulaient au sein de somptueux palais spécialement aménagés pour en mettre plein la vue à tous les hôtes.

Scribes, lettrés, et bureaucrates

Pour assumer toutes ses charges, Hammourabi devait s’entourer d’un personnel nombreux. Ses palais comportaient des dizaines de pièces où se réunissaient les ministres, leurs secrétaires et collaborateurs. Les discussions portaient sur les collectes d’impôt, les règlements de justice, les projets de construction d’un temple ou de creusement de nouveaux canaux, l’unification des calendriers ou des poids et mesures dans tout l’empire, et bien sûr les prochaines expéditions militaires. Tout ce personnel de comptables, juristes, ingénieurs formait une caste de fonctionnaires désignés sous le nom de scribes ou dub-sar en sumérien, « celui qui écrit la tablette » (voir encadré ci-dessous) 3.

Dans les temples

À proximité des palais se dressaient les temples, l’autre centre de gravité du pouvoir dans les cités antiques. Temples et palais constituaient ce que l’orientaliste Léo Oppenheim a nommé les « grands organismes » 4 : les premières institutions de l’histoire.