Bronislaw K. Malinowski (1884-1942)

Les Argonautes du Pacifique occidental

Les Argonautes du Pacifique occidental forge la réputation de l'anthropologue Bronislaw Malinowski, tant grâce à la méthode ethnographique appliquée au terrain qu'à la découverte d'un système économique original : la kula.

« Imaginez-vous soudain, débarquant, entouré de tout votre attirail, seul, sur une grève tropicale, avec tout à côté un village d'indigènes, tandis que l'embarcation qui vous a amené cingle au large pour bientôt disparaître. » Voici comment débute Les Argonautes du Pacifique occidental dans sa première parution de 1922. Cette monographie consacrée aux indigènes des îles Trobriand, au large de la Nouvelle-Guinée, impose un style méthodologique et littéraire totalement nouveau par rapport aux écrits anthropologiques de l'époque. Bronislaw Malinowski reprend, tout en s'y opposant, deux types de littératures ennemies : celle des amateurs, des missionnaires et autres colonisateurs, et celle des scientifiques qui préfèrent les longues listes arides de muséologie. Dans la lignée de l'école de Cambridge, à la suite de Charles Seligman et Alfred Radcliffe-Brown, et en parallèle à Franz Boas aux Etats-Unis, il préconise une participation active sur le terrain de recherche, qui implique non seulement de séjourner parmi les « indigènes », mais également de parler leur langue afin de se passer d'un intermédiaire, l'informateur. Cependant, il ne dédaigne pas l'usage d'une langue soignée et de descriptions vivantes qui permettent au lecteur de sentir la vie réelle des sujets étudiés.

Un ethnographe au village

A peine arrivé en Angleterre, ayant quitté sa Pologne natale, Malinowski se voit proposé, par le spécialiste de la Nouvelle-Guinée C. Seligman, de partir pour l'Océanie. Après un premier voyage à Port Moresby en Nouvelle-Guinée, il se trouve isolé à l'extrémité orientale des îles Trobriand, tant par une volonté de recherche qu'à cause du conflit mondial. En effet, il est considéré comme ennemi de par ses origines polonaises et les autorités l'invitent donc à s'éloigner le plus possible du territoire australien. Il va alors effectuer aux îles Trobriand trois expéditions : d'août 1914 à mars 1915, de mai 1915 à mai 1916 et de octobre 1917 à octobre 1918. Les résultats de ses observations sont présentés dans un ouvrage comptant près de 500 pages, où il semble qu'aucun détail de la vie des Trobriandais n'ait échappé à Malinowski. Après une préface de James G. Frazer que Malinowski admirait beaucoup à l'époque, l'auteur présente sa méthode et les conditions dans lesquelles les informations ont été recueillies.

Les premiers repérages passés, Malinowski installe sa tente au milieu d'un village trobriandais où, tout en prenant des notes sur ce qu'il lui est loisible d'observer, il se familiarise avec la langue. Les Argonautes établissent l'installation de l'ethnographe au village comme un rite d'initiation à la discipline anthropologique. Le village opère, à partir de cette époque, comme le seul lieu possible où observer l'ensemble de la culture indigène. Malinowski démystifie et professionnalise le métier d'ethnologue en pointant les conditions du travail de terrain dans ce qu'elles peuvent avoir de plus trivial : « Je me souviens fort bien des longues visites que je rendis dans les villages au cours des premières semaines ; de ma sensation de désespoir et d'accablement après que plusieurs tentatives obstinées mais vaines, pour entrer en contact réel avec les indigènes ou pour rassembler quelques matériaux, eurent totalement échoué. Je connus des périodes de découragement au cours desquelles je me plongeai dans la lecture de romans, un peu comme un homme se met à boire sous l'effet de l'ennui et de la dépression dus au climat tropical. »