André Martinet - Le langage sert à communiquer

Si la fonction du langage est d’être pertinent pour autrui, alors la mécanique des langues tient tout entière à des conventions de son et de sens, que rien n’empêche de changer.

Dans le sillage de Ferdinand de Saussure, et surtout celui de l’école de Prague (Nikolaï Troubetskoy, Roman Jakobson) le linguiste français André Martinet (1908-1999) s’est affirmé dans les années 1960, alors qu’il enseigne à la Sorbonne, comme le fondateur d’une approche fonctionnelle, ou fonctionnaliste du langage. Sa maxime paraît presque banale : il s’agit de considérer la langue comme « un instrument de communication doublement articulé et de manifestation vocale ». En fait, cette définition met en avant les enjeux de communication qui, en dernière instance, pèsent sur tout échange langagier. Si la fonction du langage est de communiquer, alors ce sont les contraintes de pertinence qui le structurent. La théorie de Martinet est aux antipodes de l’approche de Noam Chomsky, alors en plein développement outre-Atlantique, qui considère le langage comme le produit de règles formelles prédéterminées, inscrites dans le cerveau et aptes à coder la pensée.

L’axiome de Martinet

L’axiome de Martinet a pour conséquence de faire de la production du sens et du transport d’information les déterminants premiers de tout énoncé. Pour autant, comme chacun sait, le langage humain utilise des sons, voyelles et consonnes, qui, intrinsèquement, ne sont porteurs d’aucun sens : ils sont simplement perçus comme distincts les uns des autres. Aussi la théorie de Martinet postule que le langage naturel, est, à la différence des langages formels, « doublement articulé ».

La première articulation est celle du sens. Martinet appelle « monème » la plus petite unité de sens dans une langue donnée, qui ne se confond pas avec le mot. Ainsi, l’adjectif « illisible » comporte non pas un, mais trois monèmes : « il- » privatif, et « -lis- » (action de lire) et « -ible » (possibilité, comme dans « compatible » ou « risible »). En revanche, « qui » et « que » peuvent être considérés comme ne formant qu’un seul monème : dans les phrases « la personne qui vient » et « la personne que j’ai aperçue », ce sont les variantes sujet et objet du même relatif. Un monème est un élément d’information qui s’inscrit dans un paradigme de significations possibles : « la personne qui vient » n’est pas la « voiture qui vient », ni « la pluie qui vient », etc.

En revanche, cette approche fonctionnaliste a eu pour avantage de rouvrir le champ de l’histoire, barré par l’exigence de synchronicité posée par Saussure. Martinet lui-même s’est beaucoup penché sur la question du changement phonétique et sémantique dans les langues : pour lui, les mêmes contraintes de communication qui imposent aux langues de faire système sont celles qui les amènent aussi à changer, à s’adapter aux situations nouvelles. C’est ce qu’il nomme la « synchronie dynamique ». • André Martinet, Armand Colin, 1960.André Martinet, Armand Colin, 1989.-