Autochtones, c’est-à-dire « nés de la terre » : c’est ainsi que les anciens Athéniens, Spartiates, Thébains… se représentaient leur origine. À Athènes, la tradition faisait remonter la généalogie d’Érichthonios, l’un des premiers rois d’Athènes, au dieu souterrain et forgeron Héphaïstos. Le dieu boiteux ayant reçu Athéna dans sa forge, venue lui commander des armes, se prit d’amour pour elle. La déesse échappa à son étreinte, mais, dans la lutte, la semence du dieu se répandit sur le sol. Ainsi fécondée, la terre produisit un enfant que la déesse recueillit et qu’elle confia, placé dans une corbeille, aux filles d’un roi de l’Attique. Poussées par la curiosité, celles-ci ouvrirent la corbeille et virent l’enfant gardé par deux serpents. Selon certaines versions, l’enfant lui-même avait le corps terminé par une queue de serpent, comme la plupart des êtres qui viennent du sol. De cet enfant naquirent les habitants de l’Attique qui allaient fonder la cité d’Athènes. Le mythe prit, au 5e siècle, une importance renouvelée lorsque Périclès, général et principal dirigeant de la cité, fit voter les lois réservant le statut de citoyen aux seuls enfants par la mère comme par le père des présumés descendants de ces « autochtones ».
Certains philosophes s’en mêlèrent. Selon Platon, l’autochtonie fondait la démocratie, c’est-à-dire l’égalité entre citoyens : « Ni l’infirmité, ni la pauvreté, ni l’obscurité de la naissance ne sont pour quiconque une cause d’exclusion, non plus qu’une extraction contraire un titre d’honneur, comme c’est le cas dans d’autres cités. (…) Les autres cités sont constituées par des populations de toutes origines et formées d’éléments d’inégale valeur, d’où résulte l’inégalité au principe de leurs gouvernements, tyrannies et oligarchies (…). Nous et les nôtres, à l’inverse, tous frères nés d’une même mère, nous ne nous croyons pas les esclaves ni les maîtres les uns des autres. L’égalité d’origine, établie par la nature, nous oblige à rechercher l’égalité politique établie par la loi et à ne céder le pas les uns aux autres qu’eu égard à la réputation de vertu et de sagesse. » Cette égalité dans l’origine, c’est l’autochtonie. Si Platon choisit de traiter ce thème, c’est qu’il devait constituer un poncif des orateurs, dont à l’occasion il moque l’enflure. L’autochtonie athénienne se démontre donc par le fait que l’Attique, quand les autres contrées se peuplaient d’« animaux de toutes espèces », « enfanta l’homme », puis les aliments, tels « le fruit du blé et de l’orge », nécessaires à sa survie, « démontrant (par cette attention) que c’est bien elle qui a enfanté cet être ». « Car ce n’est pas la terre, écrit Platon, qui a imité la femme dans la conception et l’enfantement, mais la femme qui a imité la terre (…). » Les « ancêtres (des morts dont on célèbre la mémoire) n’étaient pas d’origine étrangère », ils ne sont pas « des métèques dont les aïeux seraient venus d’ailleurs, mais bien des autochtones » nourris, non par une « marâtre », mais par leur propre mère. Et ainsi de suite…