Qu'est-ce que le Bullying à l'école ?
Novembre 2007, Pyrénées-Orientales, une fillette de 8 ans décède d’une crise d’épilepsie. Les semaines qui avaient précédé, Noélanie, d’origine tahitienne, avait fait l’objet de persécutions répétées dans la cour de son école. Selon ses parents (adoptifs), ces violences scolaires pourraient avoir été le déclencheur de ses crises d’épilepsie, dont la dernière lui a coûté la vie.
Railleries, moqueries, agressions physiques, rumeurs, toutes ces persécutions entre élèves n’ont heureusement pas des conséquences aussi graves. Mais elles relèvent pourtant de formes de harcèlement et de violence qui peuvent perturber gravement les enfants.
Le phénomène est étudié depuis longtemps en Europe du Nord, sous le nom de « school bullying ». Le Norvégien Dan Olweus, professeur de psychologie à l’université de Bergen, a été le premier à l’analyser, dans les années 1970. Il a ensuite développé un programme de prévention et d’intervention aujourd’hui appliqué dans de nombreux pays tels que l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne. Ses travaux servent de référence aux enquêtes actuelles.
Le school bullying possède trois caractéristiques : une conduite agressive d’un élève envers un autre avec intention de nuire, qui se répète régulièrement et engendre une relation dominé/dominant. Il ne s’agit donc pas de disputes ou de bagarres ordinaires et quasi quotidiennes dans les cours de récréation.
Les études montrent cependant que ces formes de harcèlement touchent majoritairement les élèves entre 8 et 11 ans. Chez les adolescents, le bullying prend souvent des formes verbales, en lien avec le développement de leurs facultés d’expression.
Existe-t-il un profil du harceleur ?
« Dans ma classe, il y avait une fille que j’aimais vraiment pas. C’est parti un jour en cours : le prof parlait de quelque chose et disait qu’on l’avait déjà vu ; moi, je croyais qu’on n’en avait jamais parlé, alors elle s’est mise à crier en me disant : “Si tu avais regardé ton classeur, tu saurais quand on en a parlé !” À partir de là, je lui ai pourri la vie, j’ai pas arrêté : des remarques sur son physique, vraiment des sales vannes, tout le temps » (1), reconnaît Dan, élève de cinquième.
Le harceleur éprouve un fort besoin de domination. Il veut apparaître « dur » aux yeux des autres enfants. Il est souvent plus grand et plus fort que la moyenne, mais obtient des résultats scolaires assez faibles. En général impulsif, voire hyperactif, il n’a pas de problème d’estime de soi, mais présente cependant des troubles d’anxiété marqués.
Les enfants harceleurs ont une tendance facile à se sentir « provoqués » par leurs pairs. On s’accorde aussi à souligner leur peu de capacité d’empathie ainsi que leur faible tendance à la culpabilisation.
Familles instables, violentes, autoritaires, milieux sociaux défavorisés… Le psychologue Dan Olweus a également mis en évidence, chez ces enfants, un manque d’affection et un modèle parental valorisant l’agressivité et le harcèlement comme un mode de fonctionnement.
(1) Extrait de "Denis, confession d'un harceleur". Vous pouvez retrouver l'intégralité de ce témoignage sur le site de l'APHEE (Association pour la prévention de phénomènes de harcèlement entre élèves).
Jeux dangereux...
Le Royaume-Uni organise chaque année un anti-bullying day, journée nationale de sensibilisation au phénomène. En France, en revanche, le sujet reste peu abordé. Les enquêtes sur les violences scolaires n’isolent pas les formes de bullying. Au ministère de l’Éducation, le dispositif Signa est l’outil de référence de la mesure de la violence. En 2005-2006 (1), il évalue la proportion d’incidents scolaires ayant pour victime des élèves. L’étude met davantage l’accent sur les violences verticales (d’élèves à enseignants ou à surveillants) que sur les incidents survenus entre pairs. Le ministère a cependant publié en avril 2007 une enquête intitulée « Jeux dangereux et pratiques violentes » (2). On y retrouve nombre de jeux au cours desquels un enfant est mis en position de victime. Dans le jeu de la couleur, un petit groupe choisit le matin une couleur : un élève qui porte le plus grand nombre de vêtements de cette couleur est frappé toute la journée… Dans le jeu du taureau, un groupe d’enfants fonce tête baissée sur une victime désignée à l’avance. Autre jeu récemment apparu dans les cours d’école : la « gard’av », ou garde à vue, ou un enfant subit de la part de ses pairs un ensemble de brimades, auquel il doit prêter corps sans crier. S’il ne subit pas en silence, l’intensité des coups portés augmente.
(1) Signa recense depuis 2001 les actes de violence dans les établissements et les écoles publics. Disponible sur www.education.gouv.fr/(2) Disponible sur http://eduscol.education.fr/D0203/jeux_dangereux.htm
Qui sont les victimes ?
Bégaiement, difficultés d’apprentissage, obésité, couleur de peau…, la victime est souvent choisie en fonction d’un handicap, d’une différence ou d’une apparence physique. La majorité cumulerait plusieurs caractères particuliers les différenciant des autres. Moins bien intégrés socialement et ayant donc peu d’amis pour les défendre, ces enfants sont les cibles favorites des agresseurs. Des enquêtes menées en Angleterre ont montré que 25 % des adolescents issus de minorités ethniques étaient victimes de bullying, contre à 12 à 13 % pour la moyenne de l’échantillon (1). Il n’existe en France aucune étude quantitative de ce type.
Outre l’origine ethnique, l’homophobie conduit aussi à des types de conduite agressive. « Au collège, un gars très viril se moquait de ma façon de parler. Je fermais ma gueule, essayais de l’éviter. Sa moquerie – “tapette” – était une douleur vive dont je ne parvenais pas à parler. J’ai essayé de peu m’exprimer, pour ne plus être une “tapette”. Ensuite, quand j’ouvrais la bouche devant de nouveaux garçons, j’avais toujours la trouille », témoigne Stéphane. L’adolescent agressé n’a pas nécessairement une inclination homosexuelle. L’insulte homophobe (« pédé », « tapette ») veut signifier la faiblesse et la non-conformité à l’idéal viril du « macho ». Les bons élèves, ceux qui se conforment trop aux attentes des professeurs, qualifiés de « bouffons », peuvent aussi être harcelés, notamment dans les établissements difficiles où l’excellence scolaire est vue comme une qualité de fille. Dans certains établissements, « personne ne veut être perçu comme intelligent, travailler, c’est signer sa mort sociale », assure une adolescente.
(1) Adrienne Katz, Ann Buchanan et Victoria Bream, Bullying in Britain: Testimonies from tennagers, Young Voice Published, 2001.Quelles conséquences psychologiques ?
« Plutôt timide et doux, à l’école, je me suis rapidement fait marcher sur les pieds. L’enjeu pour les trois qui me brutalisaient était que je ne sois pas meilleur qu’eux. J’ai reçu des menaces. Je me sentais marginalisé. Résultat : l’appendicite en janvier, un virus au poumon en février. » Désocialisation, anxiété, dépression, phobie scolaire, tendance à la somatisation, maux de tête, de ventre, etc., la liste des effets sur la victime de harcèlement est longue. Parfois, une situation de bullying peut entraîner un décrochage scolaire voire une déscolarisation. Les études montrent que la peur des agressions expliquerait près de 25 % de l’absentéisme des collégiens et lycéens.
Le bullying n’est par ailleurs pas sans retentissement à long terme sur le développement psychologique et social de l’enfant. Les victimes développent des conduites d’évitement, une difficulté à aller vers les autres, qui s’ancrent dans leur schéma comportemental. « D’un naturel timide, raconte Carole, j’ai subi plusieurs années le harcèlement à l’école. Des élèves âgés menaçaient de me frapper, de “m’attendre à la fin des cours”. Je n’ai jamais su pourquoi moi. Je m’étais construit un monde imaginaire pour m’échapper de cela. Ma famille et moi avons déménagé, j’ai gardé mes craintes ; j’ai peur des personnes regroupées, je baisse la tête en marchant. »
Sentiment de honte, perte d’estime de soi , le tout peut conduire , selon les psychologues, à une érosion lente de la personnalité rendant les victimes incapables de se défendre. Stress et anxiété peuvent alors engendrer la dépression, voire le désir de disparaître. Selon une enquête anglaise (1) réalisée auprès de 2772 élèves, 61 % des victimes de bullying auraient des idées suicidaires.
(1) Association Young Voice, 2000.
Du happy slapping au cyberbullying
C’est un jeu de plus en plus répandu et banalisé dans les établissements scolaires : le « happy slapping » (ou « joyeuse baffe ») consiste à frapper violemment un jeune pendant que d’autres filment la scène avec un téléphone mobile. La vidéo circule ensuite – pendant les cours parfois via les portables – et peut même être diffusée sur Internet par l’intermédiaire de blogs, assurant la popularité d’un élève au détriment d’un autre plus vulnérable.
Aujourd’hui, le cyberbullying a fait son apparition. Pour Mathieu, l’engrenage a commencé lorsqu’une photo de lui pendant qu’il se changeait dans les vestiaires de son école a circulé sur Internet. Le harcèlement, sous forme d’humiliations, insultes, intimidations a lieu via les messageries instantanées et les e-mails, les sites communautaires comme YouTube ou MySpace. Il peut consister à faire disparaître un élève des listes communes de discussions pour l’isoler de ses camarades, ou propager de fausses rumeurs à son encontre. L’avantage du cyberbullying, pour l’agresseur, c’est qu’il peut y garder facilement l’anonymat et qu’il n’a pas, sur la Toile, à être plus grand ou plus fort que sa cible !
Après avoir interrogé plus de 3 000 élèves de l’État américain du Colorado, des chercheurs de l’université de Riverside en Californie se sont aperçus qu’un tiers des enfants de 10-11 ans sont des habitués des menaces verbales sur le Net. Aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, des sites spéciaux misent sur la sensibilisation des enfants à Internet et à ses dangers. Une éducation encore ignorée en France, où pourtant le phénomène commence à se répandre…
Comment lutter contre le Bullying ?
Les victimes ont souvent des difficultés à extérioriser leur souffrance, par honte, culpabilité ou par peur de représailles de la part de l’agresseur. Dans une étude américaine de 2004 (1), 25 % des victimes déclaraient n’avoir parlé à personne de leur situation, 40 % à aucun adulte. L’environnement scolaire joue un rôle non négligeable dans la facilité des enfants agressés à se livrer : ceux d’entre eux qui perçoivent l’école comme « tolérante » vis-à-vis du harcèlement, des violences en général, se confient moins que les autres : « Les enseignants fermaient les yeux. Ils disaient : c’est un cap à passer, c’est la jeunesse qui veut ça, c’est l’adolescence », se souvient une élève.
On l’aura compris, lutter contre le bullying, c’est d’abord nommer le phénomène et sensibiliser les élèves et le personnel pour, en aval, libérer la parole. Encourager la confiance et le respect entre enfants, célébrer la « diversité » sont autant de facteurs propres, au sein de l’établissement, à créer un climat scolaire serein.
Il semblerait également important, dans cette dynamique de « reconnaissance » du phénomène, que l’établissement se positionne sur la question du harcèlement en mettant en place une politique claire de sanctions.
Les programmes plus spécifiques sont imaginés pour lutter contre le phénomène, comme certains jeux de rôles sur ordinateurs par exemple. N’aies pas peur ! est un jeu en 3D développé par des chercheurs d’Allemagne, du Portugal, et de Grande-Bretagne : les enfants sont virtuellement mis en position de « protecteurs » d’une victime de harcèlement. Le programme permet aux élèves de se confronter au problème du schoolbullying et d’apprendre les bons réflexes.
Le psychologue suédois Anatol Pikas propose, pour sa part, une approche plus réflexive du bullying, basée sur l’écoute et la communication non violente. L’objectif du programme de lutte contre les harcèlements n’est pas que les élèves deviennent amis, c’est, de façon plus pragmatique, de les encourager à chercher des moyens de se tolérer les uns les autres. Le principe : faire comprendre aux enfants impliqués que l’élève qui est harcelé « passe un mauvais moment », sans chercher à établir la vérité sur l’incident, ni stigmatiser les coupables. Sous forme de petites réunions hebdomadaires, le professeur pourra ensuite vérifier les efforts réalisés par les enfants pour améliorer la situation et valoriser ainsi les succès obtenus.
(1) James Unnever et Dewey Cornell, « Middle school victims of bullying: Who reports being bullied ? », Aggressive Behavior, vol. XXX, 2004.
À lire
• Transformer la violence des élèves
Daniel Favre, Dunod, 2007.
• Violences à l’école : un défi mondial ?
Éric Debarbieux, Armand Colin, 2005.
• Bullying in Britain: Testimonies from teenagers
Adrienne Katz, Ann Buchanan et Victoria Bream, Young Voice Published, 2001.
• « How much does bullying hurt ? »
Stephen Sharp, Educational and Child Psychology, vol. XII, 1995.
• Bullying at School:
What we know and what we can do Dan Olweus, Blackwell, 1993.
Pour en savoir plus
www.scienceshumaines.com/pourensavoirplus
(en accès libre pendant un mois)
• « L’enfant violent : pourquoi, comment ? »
Jean Dumas, Sciences Humaines, hors-série n° 45, juin-juillet-août 2004.
• « Pédagogie contre violence »
Entretien avec Éric Debarbieux, Sciences Humaines, numéro spécial n° 5, octobre-novembre 2006.