Parmi les actes de délinquance, la criminologie a pour habitude de distinguer les atteintes aux biens (les vols) de celles qui concernent les personnes (agressions diverses, jusqu'à l'homicide). La seule statistique continue en France permettant d'observer les évolutions de ces délinquances est celle des services de police et de gendarmerie. En dépit de ses imperfections, elle nous indique des tendances générales.
En quart de siècle, le nombre de vols a explosé, celui des agressions considérablement progressé
Entre 1975 et 1998, trois grandes évolutions se dégagent.
- La première concerne les vols, qui constituent l'essentiel des 3,5 millions de délits et crimes enregistrés chaque année. Leur nombre a littéralement explosé. Après avoir déjà été multipliés par six entre 1950 et 1975, ils sont passés de 1,2 million en 1975 à 2,3 millions aujourd'hui. Il faut en fait distinguer deux périodes. Durant la première, qui court de 1975 à 1984, la montée de la délinquance d'appropriation entamée depuis le début des années 60 se confirme. Le rythme annuel est rapide (quoique un peu moins qu'entre 1960 et 1974).
A partir de 1984, l'évolution linéaire semble brisée. On constate une série de baisses et de hausses qui fait connaître à la France un nombre de vols en 1998 égal à celui de 1984. La prolongation de la crise économique ne s'accompagne donc pas d'une explosion correspondante des vols. Il est dès lors difficile de ne voir dans le vol que la compensation de ce qu'on ne peut acheter légalement. A l'échelle des départements, on trouve une bonne corrélation entre le taux de chômage des jeunes et le taux de vols 1. Mais on ne peut réduire le vol à un comportement répondant à une frustration économique. L'existence d'une importante délinquance en col blanc et de fraudes diverses (chèques volés, escroquerie, fraude fiscale, abus de biens sociaux) en est une illustration (on passe de 43 000 infractions économiques et financières en 1950 à 295 500 en 1997).
- La deuxième évolution concerne les atteintes aux personnes (agressions, viols, homicides...). Si aujourd'hui encore, elles ne représentent qu'une fraction des faits constatés (6,5 % en 1998), elles n'en ont pas moins connu une augmentation rapide. Ici encore, il faut distinguer deux périodes, qui ne coïncident pas avec celles relatives aux vols. En effet, les atteintes aux personnes augmentent lentement entre 1950 et 1975, et même jusqu'en 1984 (passant de 58 500 à un peu plus de 116 000). Depuis, elles connaissent une hausse spectaculaire (plus de 230 000 l'année passée) par rapport aux vols. Autrement dit, l'installation durable dans la crise semble pousser à des comportements violents. Cette délinquance peut être qualifiée de «rétraction» dans la mesure où elle se manifeste par une agressivité interpersonnelle qui ne vise pas l'appropriation du bien d'autrui. Cette observation est concordante avec l'enquête de victimation- conduite par l'Insee en 1996, où l'on voit que le quart des ménages français les plus défavorisés sont plus souvent victimes d'agressions de la part de personnes qu'ils connaissent 2. La frustration économique semble se traduire plus par de l'agressivité (en direction des autres citadins, mais également des agents des services publics ou privés : poste, bus, petits commerces etc.) que par les comportements « acquisitifs ».