Pourquoi les premiers chrétiens de Rome ont-ils développé un idéal de chasteté, et même d’abstinence, alors que les Evangiles, à part la monogamie, contiennent très peu d’instructions de morale sexuelle ?
Il y a plusieurs raisons à cela. L’influence du mouvement gnostique, qui méprisait le monde matériel, s’est exercée sur certains exégètes des premiers siècles comme Origène (185-253), qui prêchait la chasteté. L’abstinence totale, voire la castration, n’était vraiment professée que par un courant hérétique oriental, l’encratisme, qui a pu influencer l’Eglise romaine à travers des auteurs comme Tertullien (160-240). Mais il faut surtout attribuer cette attitude à la croyance dans la survenue prochaine de l’Apocalypse, une idée très présente dans les premières générations de chrétiens. Dans une telle perspective, la nécessité de se reproduire paraissait tout à fait secondaire par rapport à la recherche d’un état de pureté maximale. Le recrutement se faisait par conversion et non par reproduction.
Quant aux recommandations de saint Paul sur le célibat préférable au mariage, elles trouvent leur origine dans les interdits judaïques rituels : au moment d’offrir le sacrifice, le prêtre juif devait être dans un état de pureté absolue, notamment sexuelle. Or, pour saint Paul, tout chrétien est en permanence un prêtre du Christ. Donc le chrétien offrant le sacrifice doit être pur. On retrouve ces idées bien plus tard dans les écrits de théologiens du Moyen Age, qui réactiveront ces prescriptions de l’Ancien Testament.
Où en était la morale sexuelle chez les Romains au moment de la christianisation ?
On a beaucoup insisté ces dernières décennies sur le fait que la morale sexuelle romaine était au moins aussi puritaine que celle des chrétiens. Si l’on fait allusion à la tradition stoïcienne, ce n’est pas vraiment exact : après le ier siècle, cette morale sévère est nettement dépassée, et le plus grand désordre sexuel règne dans les classes supérieures. S’il y a un puritanisme, il s’exprime de deux manières. D’abord, c’est une réaction de l’Etat romain à la crise démographique du IIIe siècle : la natalité chute dans les classes moyennes et supérieures romaines. L’Etat impérial prend des mesures en faveur du mariage et du couple, dans l’idée de rétablir les naissances légitimes dans les classes nobles et dirigeantes. C’est une forme de moralisation de la vie sexuelle mais qui ne repose pas vraiment sur un puritanisme de conviction.