Les figures de l'animalité

De la divinité vénérée dans l'Egypte antique à la bête de somme, en passant par le cobaye de laboratoire... l'animal a connu de multiples statuts au cours de l'histoire.

Il suffit de regarder autour de soi, de parcourir les pages publicitaires d'un magazine ou d'écouter les informations qui parlent de chiens pitbulls ou de vaches folles, pour comprendre combien l'animal est présent dans notre société, physiquement et culturellement. Ces liens divers entre l'homme et l'animal sont anciens, aussi anciens que l'existence même de l'homme. L'homme préhistorique avait déjà des relations variées avec les animaux. Proie ou chasseur, il les représentait magnifiquement sur les murs de ses grottes et leur vouait parfois un culte. Naturellement, les relations avec l'animal se sont multipliées et se sont sophistiquées avec la domestication de certaines espèces que l'homme a diversement utilisées.

Les utilisations passées et actuelles de l'animal sont tellement nombreuses qu'une vie d'homme ne suffirait pas pour les évoquer toutes dans le détail. Des coqs utilisés pour les combats clandestins aux petits singes dressés pour assister les handicapés dans leurs gestes quotidiens, la gamme est étendue, aussi diverse que l'activité humaine. Face à l'importance des données, nous avons effectué un choix en ne présentant que certaines figures de l'animalité, originales ou controversées : l'animal dieu, l'animal ennemi, l'animal nourriture et l'animal cobaye.

Les éléphants d'Hannibal, la jument Une de Mai, Jojo le mérou et Mickey la souris nous pardonnerons (du moins nous l'espérons) de les avoir, pour une fois, éloignés du devant de la scène.

L'animal dieu

Dans sa longue quête de l'au-delà, dans sa longue quête de Dieu, on peut se demander si l'homme avait vraiment besoin de faire intervenir l'animal. Et pourtant ! Des dieux égyptiens à la reconnaissance par le pape Jean-Paul II de leur sensibilité, les animaux ont été omniprésents sur le chemin de la foi humaine ; parfois de façon positive, comme la vache sacrée en Inde, parfois de façon négative, comme le chat, figure du Diable qui, pendant le Moyen Age européen, a été associé aux pratiques de sorcellerie.

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Il est d'ailleurs intéressant de constater que l'image des espèces animales dans telle ou telle religion conditionne, aujourd'hui encore, leur statut dans de nombreux pays. Un exemple illustrera notre propos. Le prophète Mahomet, selon la tradition musulmane, aimait beaucoup les chats et vouait une véritable passion à sa chatte Muezza. Un jour, alors que celle-ci était couchée sur une de ses tuniques, il préféra découper la manche plutôt que de troubler son délicieux sommeil.

Selon la légende, Mahomet avait obtenu d'Allah une place pour les chats dans son royaume. Cette position privilégiée du chat aux yeux du Prophète se traduit par une indulgence particulière des musulmans, même les plus pauvres, vis-à-vis des chats. Quiconque a voyagé dans les pays du Maghreb a constaté ce phénomène. Dans les rues, dans les maisons, les restaurants et même les hôtels de luxe, les chats sont tolérés et sont nourris avec bienveillance sans qu'aucune contrepartie ne leur soit demandée. Le chien est loin d'avoir une telle impunité. Il est vrai qu'il n'était pas l'animal préféré du Prophète.

Mais revenons quelques millénaires en arrière, il y a environ 60 000 ans, à l'époque où la pensée religieuse commence à s'exprimer chez l'homme de Neandertal. En effet, celui-ci enterre pour la première fois ses morts dans des fosses où sont disposés des fleurs ou des objets. Ses balbutiements de religiosité sont associés à des rites faisant intervenir l'animal. On a découvert, notamment dans les Alpes suisses et en Dordogne, des grottes où des néandertaliens avaient disposé des crânes d'ours sur les parois et dans des sortes de tabernacles, faisant ressembler ces grottes à des églises préhistoriques. Difficile de dire si l'ours faisait l'objet d'une adoration par ces hommes préhistoriques, mais des pratiques similaires utilisant l'ours chez des peuples primitifs actuels en Laponie ou en Sibérie plaident en faveur d'un culte de l'ours chez certains néandertaliens.

Chez l'homme de Cro-Magnon également, de nombreuses représentations d'animaux, en divers lieux et en divers temps, sont en faveur de rites magiques ou préreligieux. Il est difficile de parler d'animal dieu chez l'homme de Cro-Magnon, la distinction est encore bien floue entre magie et religion, mais la voie est tracée qui aboutira, avec la structuration de la pensée humaine, à une déification de l'animal.