Les fondements moraux de la bioéthique

La recherche en biologie humaine et la pratique médicale sont aujourd'hui suspectées d'entretenir des risques considérables pour les individus et le devenir de l'humanité. En réponse, on assiste au développement de règles et de doctrines formant la bioéthique. Mais prévention des risques et réflexion morale n'appartiennent pas tout à fait au même univers.
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La bioéthique est-elle destinée à prévenir les « risques biologiques » ? Pour aborder cette question, il faut d'abord se laisser porter par le sens commun. Un risque biologique, ou « biorisque », peut servir, de manière très large, à qualifier tous les dangers que des organismes vivants, allant des prédateurs aux bactéries et virus, peuvent faire peser sur d'autres organismes vivants. A cet égard, la médecine, l'hygiène, la chirurgie et toutes les mesures de protection sont des moyens de lutter contre les biorisques. Mais dans le contexte moderne, la notion se réfère aussi à tous les dommages qu'à travers ces activités de nature biologique, l'homme fait peser sur d'autres hommes. La conscience aiguë de ce que, par le développement de ces techniques, la biologie et la médecine modernes sont capables de causer comme dommages, volontaires ou involontaires, mais en tout cas spécifiques, est à l'origine du développement d'un souci éthique croissant. Beaucoup de domaines sont visés : toutes les expérimentations sur l'être humain, les transferts d'organes et de cellules, les interventions dans la procréation, les manipulations sur la personnalité et les interventions sur le cerveau. Certains le sont tout particulièrement, parce qu'ils ont à voir avec des interventions où le risque est inconnu ou tout bonnement dépourvu de mesure : ce sont toutes les interventions sur le génome humain, sur le naître (ou ne pas naître) et le mourir.

Quelle différence y a-t-il entre la maîtrise d'un risque et son examen éthique ? C'est très clair si l'on prend en compte la pratique des experts. Un risque, pour un médecin comme le docteur Claude Got, spécialiste bien connu en santé publique, est « une probabilité de dommage par exposition à un danger ». Le maîtriser, c'est calculer son occurrence probable. Autrement dit, un risque connu s'énonce sur le modèle suivant : si vous fumez plus de quinze cigarettes par jour pendant plus de dix ans, vous avez un risque sur deux de mourir à cause du tabac. La question éthique commence à se poser lorsqu'une responsabilité humaine est évoquée : votre médecin n'est-il pas tenu de vous avertir de ce risque ? Ou, mieux encore, l'industriel qui fabrique les cigarettes... ?

La réflexion bioéthique a donc pour ambition d'édicter les normes de conduite à tenir face aux risques liés à des décisions humaines. Or, en matière de conduites humaines, les critères de jugement ne reposent pas seulement sur l'évaluation de leurs conséquences connues ou simplement possibles, mais sur quantités d'autres données : intentions de l'acteur, liberté laissée au sujet, honnêteté de l'information, acceptabilité sociale et morale d'un acte, conformité au droit, etc.

Un exemple permettra facilement de le comprendre. Lorsqu'en 1997, les Etats membres du Conseil de l'Europe adoptent une convention de bioéthique bannissant la sélection du sexe d'un embryon, ils écartent une perspective inquiétante : celle de familles ou de nations entières qui, pour des raisons de préférences culturelles, modifieraient de manière importante le sex ratio de leur population. Cependant, ce n'est pas sur cet argument que la résolution s'appuie, mais sur un principe moral, celui du « respect de la personne humaine » : être l'objet d'un choix préalable à sa naissance porte, selon les commentateurs du texte, préjudice à l'autonomie de l'homme ou de la femme à naître, et constitue donc une atteinte à sa dignité. On peut discuter ce raisonnement, tout en reconnaissant le caractère néfaste de la sélection prénatale : on se trouve bien en face d'une mesure utile à la prévention d'un danger biologique (d'ailleurs difficilement calculable), mais fondée sur de pures considérations morales.