Les grands défis d'une agriculture durable

Comment relever le défi du nombre en promouvant une agriculture durable ? Alors que la nécessité de nourrir le monde reste plus que jamais d’actualité, l’agriculture a disparu des priorités politiques mondiales et se trouve remise en question dans les pays riches.

Quand, en 2007-2008, dans plus de trente pays, les émeutes de la faim ont fait descendre des milliers d’urbains dans les rues, le monde s’est affolé : la nourriture devenait un bien rare, donc cher. Aussitôt les prophètes de malheur se sont déchaînés : la planète avait dépassé sa capacité de charge, il était impossible de faire face à la croissance démographique !

La raison de cette poussée de fièvre reposait pourtant sur une conjonction de facteurs circonstanciels.

De mauvaises récoltes dans les grands pays producteurs (moins de 15 pays, essentiellement développés, assurent plus des deux tiers des exportations céréalières mondiales)

Une flambée des prix du pétrole qui a renchéri le coût du transport et des intrants* et rendu rentables les agrocarburants : à partir de 80 dollars le baril, il vaut mieux fabriquer soi-même son carburant vert. La moitié du maïs américain est ainsi parti en fumée (un maïs fourrager, non consommé par l’homme) !

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Une spéculation effrénée sur les cours des matières premières, non seulement dans les grandes bourses financières comme Chicago, mais aussi dans les pays exportateurs de riz en Asie. Philippines, Thaïlande, Viêtnam, Inde ont suspendu leurs exportations pour réserver leur production à leurs marchés intérieurs, tandis que les grands opérateurs internes se gardaient bien de vendre, espérant empocher le jackpot grâce à la flambée des prix.

Alors que le monde compte plus de 1 300 millions d’agriculteurs, les deux tiers de ceux qui souffrent de la faim sont des ruraux, qui ne produisent pas suffisamment car ils souffrent de l’absence de débouchés rémunérateurs, et moins de 10 % de la production mondiale est échangée sur les marchés mondiaux. Comment expliquer ces paradoxes ?

Le monde a expérimenté en 2007-2008 la faible élasticité de l’offre alimentaire dans les pays du Sud : les paysans se sont révélés incapables de répondre rapidement à la demande. Non seulement ils n’ont que très peu bénéficié de la hausse des prix agricoles, mais, lorsque les stocks se sont reconstitués les années suivantes, les prix sont restés élevés dans bien des villes du Sud.

La raison réside dans le désinvestissement dont a souffert l’agriculture depuis des décennies. Alors qu’elle mobilisait plus du cinquième des investissements de la coopération internationale dans les années 1980, les sommes sont tombées à moins de 3 %. Les paysans sont aujourd’hui les grands oubliés du développement durable.

Fin 2009, la FAO publie son rapport annuel sur l’insécurité alimentaire dans le monde. Elle annonce que le nombre de ceux qui souffrent de la faim dépasse le milliard de personnes, un niveau jamais atteint. De mauvaises récoltes encore ? Même pas ! Mais la crise économique mondiale a mis des millions de personnes au chômage et réduit les transferts d’argent adressés par les émigrés dans leur pays d’origine. L’Asie du Sud, continent qui a réalisé les progrès agricoles les plus importants grâce à la révolution verte*, compte plus de 650 millions de malnutris, soit 18 % de sa population. Un pays comme l’Inde exporte son blé faute de pouvoir le vendre à ses pauvres. L’Afrique vient juste après avec 265 millions. En pourcentage, avec 35 % de malnutris, elle reste le continent record de la faim. Alors que les chefs d’État africains s’étaient engagés en 2003 à allouer le dixième de leur budget à l’agriculture, ils ne sont que 9 (sur 53) à respecter leur promesse en 2010.

Le Sommet mondial de l’alimentation à Rome en novembre 2009 n’a suscité qu’une piètre mobilisation, tandis que celui de Copenhague un mois plus tard faisait figure d’événement mondial. Il est vrai que l’on n’y parlait pas de la faim, mais de la planète : les préoccupations écologiques ont évincé le combat pour le développement qui mobilisait le monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Ceux qui ont faim ne comptent pas car ce sont des non-consommateurs : ils n’existent ni politiquement, ni économiquement… sauf quand la faim touche les villes. Beaucoup affirment même qu’ils sont trop nombreux, que la planète ne peut pas porter une humanité sans cesse croissante. Les pauvres sont perçus comme des menaces : parasites, prédateurs et surtout excédentaires, ils braconneraient, ne respecteraient pas les forêts, pollueraient… Résultat : une extension constante des aires naturelles protégées, qui leur sont souvent interdites d’accès – 2 millions de kilomètres carrés en 1950, 20 millions aujourd’hui !