Les guérisseurs en milieu rural

N’est pas guérisseur qui veut. L’exercice de la fonction requiert un ensemble de qualifications et qualités morales reconnues par la communauté.

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On les appelle « guérisseurs » ou parfois « tradipraticiens » : parmi eux, il y a les rebouteux, les rhabilleurs, les « rénoveurs » et les « gogneurs ». Ce sont des gens modestes qui exercent de manière discrète, sans ostentation, tout en exerçant pour la plupart une activité professionnelle. Ce sont des « mécaniciens » du corps qui remettent en place les articulations, les nerfs ou les muscles. Ils héritent généralement d’un savoir familial et procèdent par « voir-faire » : ils sont « remontrés » par celui qui leur transmet ainsi ses manipulations, trucs et secrets.

Viennent ensuite ceux qui utilisent des supports naturels : plantes, animaux, minéraux. Puis, à un autre degré, il y a ceux qui agissent par l’utilisation de formules de conjurations. Tous œuvrent dans des domaines précis, sans jamais déborder de leur cadre de compétences, autrement dit sans dépasser les limites de ce qu’ils ont reçu en « don » lors de la transmission. D’autres encore, reconnus comme investis de pouvoirs particuliers, vont exercer une fonction sociale régulatrice. On les appelle les sorciers. La distinction entre sorciers et guérisseurs est beaucoup plus ambiguë qu’il y paraît.

En effet, le tradipraticien peut sauver et peut détruire : « Qui peut le bien peut le mal », dit un ancien. Même une pratique thérapeutique apparemment anodine, comme le transfert, qui consiste à extraire le mal d’un corps pour le transférer ailleurs, revêt un caractère particulier. Car renvoyer le mal, c’est faire avec le mal, c’est faire le mal.

Les guérisseurs exercent, en milieu rural, une thérapeutique basée sur la tradition, c’est-à-dire sur des origines mythiques issues du judéo-christianisme, sur une transmission ininterrompue et sur une reconnaissance sociale vivante et vivifiante. Il s’agit à proprement parler d’une thérapeutique traditionnelle qui se distingue de la « médecine populaire » ou des « médecines parallèles ».

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Les tradipraticiens procèdent le plus souvent en suivant des règles d’analogies bien précises, liées à l’observation de l’environnement, en utilisant la méthode du transfert du mal sur un objet, accompagné ou non d’une parole ou d’une prière.

Leur action réside dans le « dire » et dans le « faire ». Deux modes d’expression qui bien souvent sont associés l’un à l’autre. Cela sous-entend la possession d’un « pouvoir » auquel un certain nombre de croyances sont attachées en vue de le justifier ou de lui conférer une légitimité.

Comment on acquiert un « don »

L’exercice de la fonction de guérisseur requiert des « qualifications » et des qualités morales. Nul ne s’improvise de son propre chef guérisseur, il doit être reconnu comme tel par sa communauté. Il doit être disponible, agir avec désintéressement et parfois dans la gratuité (dans le cas de l’usage de conjurations).

Odette S., par exemple, qui exerçait à Manzat (Puy-de-Dôme) insistait particulièrement sur la gratuité qu’elle considérait comme une condition impérative pour l’efficacité de la cure par conjuration. Elle suivait en cela les prescriptions de sa mère qui lui avait transmis les secrets. Elle précisait d’emblée à ses patients : « À la fin, vous ne me direz pas merci. Je ne peux pas accepter un remerciement, ce qui serait pour moi comme un paiement, je risquerais de perdre mon don… »