Accepter sa dépendance : rencontre avec les Narcotiques anonymes

Les Narcotiques anonymes proposent aux toxicomanes qui désirent décrocher un programme d’entraide. Au sein de groupes de parole, les membres partagent leur expérience dans un espace bienveillant. Rencontres à Paris.

« Je suis en train d'accepter avec douceur ma dépendance » - Sciences Humaines n°373

© TRADE LATIN/GETTY IMAGES

La première fois que Lili* a entendu parler des Narcotiques anonymes (NA), c’était à New York par un de ses petits amis. « Il me donnait des dépliants des Narcotiques anonymes. Moi, je n’y faisais pas attention, et en bonne tox, je rangeais ma came dedans », raconte la grande brune, attablée avec son ami Tom à une terrasse du 20e arrondissement. Après cinq ans d’errance à l’héroïne, puis au crack, l’adolescente fugueuse rentre à Paris à la fin des années 1990 pour tenter de décrocher. Son premier réflexe est de se rendre dans une réunion des Narcotiques anonymes. Créée aux États-Unis en 1953 par des membres des Alcooliques anonymes, l’association est implantée en France depuis 1983. Son programme, fondé sur l’abstinence, propose à ses membres de se libérer de leur dépendance à l’égard des drogues, à travers des groupes de parole et un soutien par les pairs. « Au début, c’était pour choper de la dope, se souvient Lili, mais le groupe m’a plu, les membres étaient jeunes, ils avaient l’air heureux, je me suis identifiée à eux. C’est comme ça que tout a commencé… »

Abstinente depuis trente ans, aujourd’hui quinquagénaire, Lili continue de se rendre en réunion une fois par semaine. Ce vendredi soir de juillet, la rencontre a lieu dans une salle du 20e arrondissement. Son ami Tom, qui va modérer les échanges (en jargon NA, on dit « prendre son service »), accueille les participants avec chaleur. À 19 h, la réunion peut commencer. Une quinzaine de personnes ont pris place aux côtés de Lili sur les chaises disposées en cercle : des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux, des Blancs, des Noirs, des Arabes, un ancien taulard , des chômeurs, des employés, des artistes, des cadres... Un vrai condensé de la société !

Pour préserver l’anonymat des participants, chacun s’appelle par son prénom. « Bonjour, je m’appelle Romain, et je suis dépendant. » « Bonjour Romain ! » entonnent les autres dépendants. Tom répartit la lecture des textes au programme de la séance. Ils sont tirés du Basic et du Comment ça marche et pourquoi ?, livres comprenant notamment les 12 étapes et les « 12 Traditions » qui définissent les règles de fonctionnement et la philosophie des groupes « NA » comme les appellent leurs membres. De l'extérieur, le rituel peut s'avérer un peu déconcertant en raison de sa dimension spirituelle. « La seule condition requise pour devenir membre de NA est le désir d’arrêter de consommer… », lit Romain. Les NA prônent l’abstinence de « tout produit modifiant le comportement », c’est-à-dire des drogues comme l’héroïne ou le crack mais aussi l’alcool ou certains médicaments. « Quelqu’un aurait-il une envie brûlante de consommer à déposer ? » poursuit Tom, appelant les participants à parler d’une éventuelle envie de prendre de la drogue. Pas de réponse.

Les « partages » peuvent commencer. Chacun dispose de quatre minutes pour s’exprimer. « Je m’appelle Fabrice, je suis dépendant. J’ai 36 ans de conso. Les 16 dernières années, j'avais envie d’arrêter, mais je n’y arrivais pas », raconte le quinquagénaire, physique imposant et visage buriné. C’est une association d’insertion qui l’a orienté vers les NA. Les débuts de la relation, comme souvent, ont été chaotiques. « C’est la première fois que quelqu’un mettait des mots sur ce que j’avais dans le bide… J’avais le désir d’arrêter, mais j’avais envie de garder un pied dans ma vie d’avant et je retournais consommer », confie-t-il avec émotion. Avant de conclure fièrement : « Aujourd’hui, je sais que le produit est plus fort que moi. Ça fait trois ans, neuf mois et quelques jours que je suis clean. »