La précarité existe parfois là où on ne l’attend pas. Voici le cas de Mme X, docteure en géographie humaine, qui donne des cours à l’université en tant que vacataire. Ce statut est surtout avantageux pour la faculté, qui ne paie pas de charges sociales pour cet emploi censé être un supplément pour quelqu’un déjà salarié. Dans la pratique pourtant, pour avoir le droit de donner des cours, surveiller des examens et noter les élèves, Mme X avoue qu’elle a recours à un prête-nom : puisqu’il faut fournir la preuve que l’on est salarié par ailleurs, elle a fourni la fiche de paie de sa sœur, qui est responsable d’accueil à la Société protectrice des animaux ! En conséquence, Mme X est non seulement précaire (les rémunérations pour une charge de cours sont faibles) mais n’existe pas officiellement – donc pas de cotisation retraite, pas de couverture maladie, etc. On ne peut évidemment pas chiffrer ce genre de cas, pourtant fréquents et advenus parfois grâce à la complicité de l’administration universitaire… Il reste que, à côté des 53 000 enseignants-chercheurs titulaires, existent 27 000 non-titulaires, dont beaucoup ne vivent pas dans l’opulence. De manière plus générale, et contre toute attente, les chiffres montrent qu’il existe plus d’emplois précaires dans le secteur public que dans le privé (1) !
Cet exemple permet de poser une question de fond : comment identifier les nouvelles formes de pauvreté ou de précarité ? Question à laquelle on est bien obligé de répondre avant de proposer la moindre solution ! En effet, si les médias insistent aujourd’hui volontiers, avec beaucoup de compassion, sur les cas d’exclusion extrême dans la société française – le cas récent des tentes de SDF le long du canal Saint-Martin à Paris étant exemplaire –, on ne saurait oublier qu’une crise structurelle secoue le pays, avec pour conséquence une augmentation de la précarité pour une grande partie de la population… C’est bien ce que montrent les auteurs d’un ouvrage collectif, La France invisible : des populations entières vivant dans la pauvreté mais qui, malgré leur nombre, n’apparaissent nulle part. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, des sociologues proposent un retour sur les transformations subies en trente ans par les classes populaires et moyennes.
Aujourd’hui, tous ces vieux repères sont brouillés. En effet, les métiers ouvriers traditionnels ont presque tous disparu à cause de l’avènement de l’automatisation et de la disparition de nombreuses branches de la production industrielle en France. En outre, le discours politique ouvrier est désormais disqualifié à cause de l’effondrement du « socialisme réel », c’est-à-dire du bloc soviétique. Enfin, la culture ouvrière s’est désagrégée depuis que les emplois désormais offerts aux jeunes des classes populaires se trouvent dans le secteur des services. Dès lors, à cause de cet effet de « déségrégation », les classes populaires veulent accéder aux valeurs bourgeoises et modernes de la société de consommation, accéder à la propriété, etc. Une part des anciennes classes ouvrières a effectivement pu monter le long de l’échelle sociale. Mais pour ceux qui sont restés au bas de l’échelle – ouvriers déqualifiés, chômeurs de longue durée, familles issues de l’immigration –, la ségrégation économique, sociale et culturelle se révèle encore plus forte qu’avant (2).
Est-ce que les classes dites « moyennes » ont pour autant été épargnées ? Il semble que non. Admettons, en suivant le sociologue Louis Chauvel, qu’il est difficile de définir les classes moyennes, supposées n’être ni populaires, ni « supérieures », et donc bien floues. Cet auteur postule tout de même l’existence de cette classe, dont les membres sont décrits par trois critères : un critère économique (le revenu médian français, soit 1850 euros nets mensuels), un critère socioprofessionnel (certes un peu « fourre-tout » car il comprend les professions « intermédiaires » telles que les secrétaires ou employés administratifs, les cadres, les professions intellectuelles supérieures comme les professeurs du public et les employés qualifiés tels que les contremaîtres) et enfin un « sentiment d’appartenance » à ladite classe, appuyé par une mythologie du progrès (les enfants sont supposés pouvoir s’en sortir « par le haut ») (3). Pour L. Chauvel qui en tout cas ne mâche pas ses mots, les classes moyennes sont aujourd’hui à la dérive… Dans une société d’incertitude et de post-abondance, il existerait un décalage énorme entre les aspirations des jeunes générations issues des classes moyennes et leurs moyens économiques réels : c’est l’effet du « déclassement générationnel ». En effet, explique le sociologue, alors que leurs parents avaient pendant les trente glorieuses acquis un niveau de vie très appréciable, les enfants, entre 15 et 35 ans (et ce quel que soit leur niveau scolaire, de bac -4 à bac +13 !), ne trouvent pas de travail ou un travail mal payé. Alors que la méritocratie s’effondre, ils assistent, dans tous les secteurs (entreprise, milieu artistique ou intellectuel), au retour des « fils de », se surendettent, et ne s’en sortent que grâce au soutien financier de la famille, en train de se généraliser.
C’est finalement l’ensemble de la société française qui semble touché aujourd’hui, comme le souligne le récent rapport du Centre d’analyse stratégique (CAS) pour l’année 2006 : les experts concluent que les « clivages structurels demeurent » et que « les phénomènes de ségrégation se renforcent », relevant le développement d’emplois, notamment dans le tertiaire, plus précaires et moins structurants, un renforcement des inégalités de genre et un creusement des écarts générationnels. Pour en déduire que « le niveau de vie de l’ensemble des Français se détériore (4) ». Ce même constat est fait par les chercheurs de l’Observatoire sociologique du changement. Dans un livre récent, ceux-ci font état d’un accroissement global des inégalités : renforcement de la ségrégation résidentielle (développement de l’entre-soi des nantis et relégation des pauvres dans les quartiers « difficiles »), affaiblissement des protections sociales, à quoi s’ajouterait une « ethnicisation » des inégalités (5).
On retrouve ici l’une des grosses questions qui agitent depuis quelque temps l’espace public français : puisque les classes populaires et moyennes sont mal en point, n’assiste-t-on pas à la disparition de la « question sociale » qui se métamorphoserait désormais en une « question raciale » ? En d’autres termes, les inégalités de race se sont-elles substituées aux inégalités de classe ?
L’historien de l’immigration Gérard Noiriel est revenu récemment sur ce débat complexe. Selon lui, c’est paradoxalement la victoire du discours antiraciste qui a fait que la lutte contre les discriminations raciales est devenue un thème politique et médiatique consensuel. En effet, pour prouver qu’il n’existe pas d’inégalités naturelles entre les races humaines, les tenants du discours antiraciste ont diffusé largement des images de personnages héroïques (Zinédine Zidane ou Yannick Noah par exemple) qui se distinguaient non seulement par leurs qualités personnelles, mais aussi par la couleur de leur peau et leur origine ethnique… La conséquence fut que la race revint sur le devant de la scène et fut intégrée dans le discours politique, en particulier par les exclus du système (« Blacks » et « Beurs », notamment). Si on lit bien G. Noiriel, on en déduit qu’expliquer les nouvelles inégalités sociales par des discriminations raciales ne fait que noyer le problème. Il y a des inégalités de plus en plus fortes entre les habitants des banlieues et ceux des quartiers riches, mais les expliquer par le racisme (qui existe certes) est insuffisant et relève d’un discours politique (6). C’est aussi oublier que dans les nouvelles zones de pauvreté se côtoient diverses populations d’origine immigrée mais aussi les déclassés issus des anciennes classes ouvrières – peut-être moins visibles aujourd’hui dans les médias puisque c’est le discours sur la race qui est mis en avant.
Pour Michel Rocard (7), il faut inventer un « capitalisme éthique » qui inclurait un contrôle des salaires par le haut et par le bas, c’est-à-dire que, si l’on veut lutter contre la montée de la précarité et des exclusions, il faut revaloriser les bas salaires (en augmentant le smic et en appuyant les négociations salariales) mais aussi revoir à la baisse les salaires mirobolants des grands patrons des sociétés multinationales, qui atteignent parfois 400 fois le salaire moyen de leurs employés, ce qui n’est jamais arrivé dans l’histoire du capitalisme ! Pour un autre économiste, Bernard Gazier, il faut inventer un « nouveau modèle social », qui combinerait les diverses avancées que l’on peut constater dans les pays européens : développer le travail à temps partiel et la « flexicurité » (mélange original de flexibilité et de sécurité par des droits au chômage forts) comme en Hollande ; intensifier les politiques de l’emploi comme au Danemark ; favoriser une vraie parité entre hommes et femmes comme en Suède ; enfin, miser sur l’essor des réseaux associatifs et la gestion municipale du temps comme en Europe du Sud (8). Le recours à ces différentes techniques permettrait de fabriquer un nouveau modèle plus efficace que le social-libéralisme proposé par Tony Blair et Anthony Giddens, affirme B. Gazier… Dans ce nouveau système, les individus pourraient choisir leur métier et en changer s’ils le souhaitent. En outre, on verrait la disparition des emplois routiniers et peu formateurs, qui céderaient la place à des emplois choisis, à temps de travail réduit, et permettraient de faire travailler plus de personnes tout en laissant aux salariés du temps pour se consacrer aux autres tâches sociales.
NOTES
(1) S. Beaud, J. Confavreux et J. Lingaard (dir.), La France invisible, La Découverte, 2006.
(2) G. Mauger, « Les transformations des classes populaires en France depuis trente ans », in J. Lojkine, P. Cours-Salies et M. Vakaloulis (dir.), Nouvelles luttes de classes, Puf, 2006.
(3) L. Chauvel, Les Classes moyennes à la dérive, Seuil, 2006.
(4) R. Barroux, « Le Centre d’analyse stratégique évoque une détérioration du niveau de vie », Le Monde, 9 janvier 2007.
(5) H. Lagrange (dir.), L’Épreuve des inégalités, Puf, 2006.
(6) G. Noiriel, « "Color blindness" et construction des identités dans l’espace public français », in D. Fassin et É. Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale. Représenter la société française, La Découverte, 2006.
(7) M. Rocard, « Le capitalisme éthique, un principe fragile », Le Monde, 10 janvier 2007.
(8) B. Gazier, Vers un nouveau modèle social, Flammarion, coll. « Champs », 2005. En Italie, certaines mairies ont réaménagé les horaires des employées et ont revu les horaires d’ouverture des services publics et équipements collectifs (comme les crèches) pour permettre aux femmes de concilier travail et vie familiale.
Cet exemple permet de poser une question de fond : comment identifier les nouvelles formes de pauvreté ou de précarité ? Question à laquelle on est bien obligé de répondre avant de proposer la moindre solution ! En effet, si les médias insistent aujourd’hui volontiers, avec beaucoup de compassion, sur les cas d’exclusion extrême dans la société française – le cas récent des tentes de SDF le long du canal Saint-Martin à Paris étant exemplaire –, on ne saurait oublier qu’une crise structurelle secoue le pays, avec pour conséquence une augmentation de la précarité pour une grande partie de la population… C’est bien ce que montrent les auteurs d’un ouvrage collectif, La France invisible : des populations entières vivant dans la pauvreté mais qui, malgré leur nombre, n’apparaissent nulle part. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, des sociologues proposent un retour sur les transformations subies en trente ans par les classes populaires et moyennes.
La disparition des valeurs ouvrières
Dans les premières décennies du xxe siècle, la classe paysanne disparaît presque complètement en France. Les classes populaires, celles qui se trouvent au bas de la hiérarchie sociale du pays, sont alors réduites aux seuls ouvriers. Jusque dans les années 1970, il était encore légitime de parler de « classe ouvrière » dans la mesure où les ouvriers partageaient des conditions économiques, sociales et culturelles communes. Pour le sociologue Gérard Mauger, outre les mêmes conditions salariales, les ouvriers se distinguaient par une ségrégation sociale qui commençait dès l’école et se consolidait avec l’acquisition d’un métier dans la production industrielle. La ségrégation était aussi spatiale puisque les ouvriers habitaient tous les cités ouvrières ou les banlieues ouvrières. Leur condition était « verrouillée » du fait de la très faible possibilité d’ascension sociale. A quoi s’ajoutait une culture commune, fondée sur une « autoexclusion consentie » (les bourgeois ne sont pas comme nous, affirmaient les ouvriers), sur un discours valorisant la force physique et le « franc-parler » et sur une identité politique forte, liée au Parti communiste et aux syndicats ouvriers.Aujourd’hui, tous ces vieux repères sont brouillés. En effet, les métiers ouvriers traditionnels ont presque tous disparu à cause de l’avènement de l’automatisation et de la disparition de nombreuses branches de la production industrielle en France. En outre, le discours politique ouvrier est désormais disqualifié à cause de l’effondrement du « socialisme réel », c’est-à-dire du bloc soviétique. Enfin, la culture ouvrière s’est désagrégée depuis que les emplois désormais offerts aux jeunes des classes populaires se trouvent dans le secteur des services. Dès lors, à cause de cet effet de « déségrégation », les classes populaires veulent accéder aux valeurs bourgeoises et modernes de la société de consommation, accéder à la propriété, etc. Une part des anciennes classes ouvrières a effectivement pu monter le long de l’échelle sociale. Mais pour ceux qui sont restés au bas de l’échelle – ouvriers déqualifiés, chômeurs de longue durée, familles issues de l’immigration –, la ségrégation économique, sociale et culturelle se révèle encore plus forte qu’avant (2).
Est-ce que les classes dites « moyennes » ont pour autant été épargnées ? Il semble que non. Admettons, en suivant le sociologue Louis Chauvel, qu’il est difficile de définir les classes moyennes, supposées n’être ni populaires, ni « supérieures », et donc bien floues. Cet auteur postule tout de même l’existence de cette classe, dont les membres sont décrits par trois critères : un critère économique (le revenu médian français, soit 1850 euros nets mensuels), un critère socioprofessionnel (certes un peu « fourre-tout » car il comprend les professions « intermédiaires » telles que les secrétaires ou employés administratifs, les cadres, les professions intellectuelles supérieures comme les professeurs du public et les employés qualifiés tels que les contremaîtres) et enfin un « sentiment d’appartenance » à ladite classe, appuyé par une mythologie du progrès (les enfants sont supposés pouvoir s’en sortir « par le haut ») (3). Pour L. Chauvel qui en tout cas ne mâche pas ses mots, les classes moyennes sont aujourd’hui à la dérive… Dans une société d’incertitude et de post-abondance, il existerait un décalage énorme entre les aspirations des jeunes générations issues des classes moyennes et leurs moyens économiques réels : c’est l’effet du « déclassement générationnel ». En effet, explique le sociologue, alors que leurs parents avaient pendant les trente glorieuses acquis un niveau de vie très appréciable, les enfants, entre 15 et 35 ans (et ce quel que soit leur niveau scolaire, de bac -4 à bac +13 !), ne trouvent pas de travail ou un travail mal payé. Alors que la méritocratie s’effondre, ils assistent, dans tous les secteurs (entreprise, milieu artistique ou intellectuel), au retour des « fils de », se surendettent, et ne s’en sortent que grâce au soutien financier de la famille, en train de se généraliser.
Une impasse civilisationnelle
Désormais « sans projet », cette nouvelle classe moyenne aurait rejeté toute idée de progrès et s’abîmerait dans l’anxiété et l’anomie. Ce phénomène aurait pour corollaire à la fois un mécontentement général chez les jeunes générations (visibles à travers les manifestations anti-CPE, le mouvement des jeunes chercheurs ou les émeutes des banlieues) et une défiance vis-à-vis du politique (censée expliquer le non massif à l’Europe et la montée de l’extrême droite). La situation actuelle déboucherait, conclut de manière bien pessimiste L. Chauvel, sur une « impasse civilisationnelle » !C’est finalement l’ensemble de la société française qui semble touché aujourd’hui, comme le souligne le récent rapport du Centre d’analyse stratégique (CAS) pour l’année 2006 : les experts concluent que les « clivages structurels demeurent » et que « les phénomènes de ségrégation se renforcent », relevant le développement d’emplois, notamment dans le tertiaire, plus précaires et moins structurants, un renforcement des inégalités de genre et un creusement des écarts générationnels. Pour en déduire que « le niveau de vie de l’ensemble des Français se détériore (4) ». Ce même constat est fait par les chercheurs de l’Observatoire sociologique du changement. Dans un livre récent, ceux-ci font état d’un accroissement global des inégalités : renforcement de la ségrégation résidentielle (développement de l’entre-soi des nantis et relégation des pauvres dans les quartiers « difficiles »), affaiblissement des protections sociales, à quoi s’ajouterait une « ethnicisation » des inégalités (5).
On retrouve ici l’une des grosses questions qui agitent depuis quelque temps l’espace public français : puisque les classes populaires et moyennes sont mal en point, n’assiste-t-on pas à la disparition de la « question sociale » qui se métamorphoserait désormais en une « question raciale » ? En d’autres termes, les inégalités de race se sont-elles substituées aux inégalités de classe ?
L’historien de l’immigration Gérard Noiriel est revenu récemment sur ce débat complexe. Selon lui, c’est paradoxalement la victoire du discours antiraciste qui a fait que la lutte contre les discriminations raciales est devenue un thème politique et médiatique consensuel. En effet, pour prouver qu’il n’existe pas d’inégalités naturelles entre les races humaines, les tenants du discours antiraciste ont diffusé largement des images de personnages héroïques (Zinédine Zidane ou Yannick Noah par exemple) qui se distinguaient non seulement par leurs qualités personnelles, mais aussi par la couleur de leur peau et leur origine ethnique… La conséquence fut que la race revint sur le devant de la scène et fut intégrée dans le discours politique, en particulier par les exclus du système (« Blacks » et « Beurs », notamment). Si on lit bien G. Noiriel, on en déduit qu’expliquer les nouvelles inégalités sociales par des discriminations raciales ne fait que noyer le problème. Il y a des inégalités de plus en plus fortes entre les habitants des banlieues et ceux des quartiers riches, mais les expliquer par le racisme (qui existe certes) est insuffisant et relève d’un discours politique (6). C’est aussi oublier que dans les nouvelles zones de pauvreté se côtoient diverses populations d’origine immigrée mais aussi les déclassés issus des anciennes classes ouvrières – peut-être moins visibles aujourd’hui dans les médias puisque c’est le discours sur la race qui est mis en avant.
Inventer un nouveau modèle social
Quoi qu’il en soit, beaucoup de monde semble s’entendre sur la dérive actuelle de la société française. Mais toute la difficulté est alors d’identifier les groupes sociaux en difficulté. En effet, la précarité est diffuse, elle semble partout et nulle part, car on ne peut pas l’appréhender en termes de classes (fussent-elles ouvrières, populaires ou moyennes) ou de races… Le problème est donc structurel et appelle des solutions générales : celles-ci émanent des économistes.Pour Michel Rocard (7), il faut inventer un « capitalisme éthique » qui inclurait un contrôle des salaires par le haut et par le bas, c’est-à-dire que, si l’on veut lutter contre la montée de la précarité et des exclusions, il faut revaloriser les bas salaires (en augmentant le smic et en appuyant les négociations salariales) mais aussi revoir à la baisse les salaires mirobolants des grands patrons des sociétés multinationales, qui atteignent parfois 400 fois le salaire moyen de leurs employés, ce qui n’est jamais arrivé dans l’histoire du capitalisme ! Pour un autre économiste, Bernard Gazier, il faut inventer un « nouveau modèle social », qui combinerait les diverses avancées que l’on peut constater dans les pays européens : développer le travail à temps partiel et la « flexicurité » (mélange original de flexibilité et de sécurité par des droits au chômage forts) comme en Hollande ; intensifier les politiques de l’emploi comme au Danemark ; favoriser une vraie parité entre hommes et femmes comme en Suède ; enfin, miser sur l’essor des réseaux associatifs et la gestion municipale du temps comme en Europe du Sud (8). Le recours à ces différentes techniques permettrait de fabriquer un nouveau modèle plus efficace que le social-libéralisme proposé par Tony Blair et Anthony Giddens, affirme B. Gazier… Dans ce nouveau système, les individus pourraient choisir leur métier et en changer s’ils le souhaitent. En outre, on verrait la disparition des emplois routiniers et peu formateurs, qui céderaient la place à des emplois choisis, à temps de travail réduit, et permettraient de faire travailler plus de personnes tout en laissant aux salariés du temps pour se consacrer aux autres tâches sociales.
NOTES
(1) S. Beaud, J. Confavreux et J. Lingaard (dir.), La France invisible, La Découverte, 2006.
(2) G. Mauger, « Les transformations des classes populaires en France depuis trente ans », in J. Lojkine, P. Cours-Salies et M. Vakaloulis (dir.), Nouvelles luttes de classes, Puf, 2006.
(3) L. Chauvel, Les Classes moyennes à la dérive, Seuil, 2006.
(4) R. Barroux, « Le Centre d’analyse stratégique évoque une détérioration du niveau de vie », Le Monde, 9 janvier 2007.
(5) H. Lagrange (dir.), L’Épreuve des inégalités, Puf, 2006.
(6) G. Noiriel, « "Color blindness" et construction des identités dans l’espace public français », in D. Fassin et É. Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale. Représenter la société française, La Découverte, 2006.
(7) M. Rocard, « Le capitalisme éthique, un principe fragile », Le Monde, 10 janvier 2007.
(8) B. Gazier, Vers un nouveau modèle social, Flammarion, coll. « Champs », 2005. En Italie, certaines mairies ont réaménagé les horaires des employées et ont revu les horaires d’ouverture des services publics et équipements collectifs (comme les crèches) pour permettre aux femmes de concilier travail et vie familiale.