Le 5 juin 2013, Clément Méric, militant du groupe Action antifasciste Paris banlieue, trouve la mort sous les coups de skinheads issus du groupe nationaliste révolutionnaire Troisième Voie. Un an plus tard, le 26 octobre 2014 sur la Zad (Zone à défendre) de Sivens dans le Tarn, c’est au tour de Rémi Fraisse d’être tué dans l’explosion d’une grenade lancée par un gendarme mobile au cours d’une manifestation opposant violemment activistes écologistes et forces de l’ordre. Le 1er mai 2018, 1 200 manifestants vêtus de noir, les black blocs, se livrent à la dégradation d’une trentaine de commerces et en incendient deux près de la gare d’Austerlitz à Paris.
Autant de faits divers retentissants qui ont tous un point commun : celui d’impliquer – comme victimes ou comme responsables de violences – des militants de l’ultra-gauche. Depuis l’affaire dite de Tarnac en 2008 (encadré ci-dessous), la menace que représente cette nébuleuse est prise très au sérieux par les pouvoirs publics et a même tout dernièrement fait l’objet d’une loi « anticasseurs ». Adoptée en février 2019, cette dernière vise à interdire de manifestation toute personne qui, du fait de ses « agissements », constitue « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ».
L’histoire balbutie. Il y a cinquante ans déjà, une première loi « anticasseurs » (et dont s’inspire largement la seconde) entendait lutter contre les actions violentes des organisations d’« extrême gauche ». Jusqu’à la fin des années 1970, c’était ce terme qui prévalait pour désigner les petites formations à la gauche du parti communiste français (trotskistes et maoïstes) qui se présentaient alors comme une alternative au communisme orthodoxe et entendaient revivifier sa veine révolutionnaire, pour certaines par la violence. La légitimation de cette dernière abandonnée, ces groupes ont disparu ou n’interviennent désormais sur la scène publique qu’au moyen de la participation politique conventionnelle, électorale à commencer, ou dans le cadre de contestations routinisées ; en d’autres termes, ils ne recourent plus à l’action directe violente.
La montée en puissance des black blocs
L’ultra-gauche actuelle – terme largement rejeté par celles et ceux que l’on désigne ainsi – a des matrices historiques précises et attestées. Elle puise ses racines dans trois temps historiques. D’une part, celui de la critique du léninisme issue de la « gauche communiste » des années 1920 qu’animent, entre autres, les militants marxistes et dirigeants politiques Rosa Luxemburg (1871-1919) en Allemagne, Amadeo Bordiga (1889-1970) en Italie ou encore Anton Pannekoek (1873-1960) au Pays-Bas. Elle se nourrit d’autre part de l’influence de groupes intellectuels comme Socialisme ou barbarie (1948-1967) 1 et de l’Internationale situationniste (1957-1972) de Guy Debord. Elle s’inspire enfin du mouvement autonome italien qui, au fil du temps, s’est progressivement détaché du communisme des débuts pour prendre une coloration plus anarchisante, et finalement ne retenir que le refus de toute organisation et la valorisation de l’action directe au travers des squats, de l’investissement émeutier des manifestations, des autoréductions (consistant à ne payer qu’une partie des services publics comme l’électricité ou de biens privés comme une place de cinéma, voire à ne rien payer du tout), ou des dégradations et sabotages.