Les nouvelles familles

Familles recomposées, procréations médicalement assistées, brouillage des liens de parenté et de la filiation, entrée des femmes sur le marché du travail... Autant d'évolutions et d'enjeux qui font plus que jamais de l'état un partenaire obligé de la famille.

«L'état est devenu un partenaire de la vie domestique », écrivait Emile Durkheim il y a cent ans. Il ignorait à quel point cette proposition, visionnaire à une époque où les politiques destinées à agir sur la famille en étaient encore à leurs balbutiements, serait d'actualité pour analyser l'institution familiale au tournant du xxie siècle.

L'importance accrue de la vie privée engendre une réèlle fragilité du couple, et explique la bigarrure actuelle des structures familiales

On connaît les thèses sur la « privatisation » des relations familiales. Ce mouvement est associé à la montée de l'autonomie des individus, à la fondation des unions sur un amour réciproque qui refuse l'immixtion d'autrui, qu'il s'agisse du contrôle parental ou des institutions de l'Etat. L'importance accrue de la vie privée, qu'accompagne le désir d'autonomie des individus, engendre une réelle fragilité du couple et explique la bigarrure actuelle des structures familiales. Et pourtant, jamais l'Etat n'a été autant interpellé par ce domaine soi-disant privé. Appelé à en supporter les conséquences socio-économiques (en mettant en place des politiques destinées par exemple aux mères chefs de familles monoparentales), il est également sollicité pour changer la législation afin de la mettre en accord avec de nouvelles moeurs, ou pour répondre aux demandes en faveur d'une reconnaissance publique de comportements « privés » (comme par exemple la revendication de certains couples homosexuels de pouvoir se marier, donc de bénéficier des effets issus d'une inscription à l'état civil).

Depuis 1980, la période des grands changements familiaux, tels qu'on les observait dans les courbes statistiques, s'est achevée : la chute de fécondité est accomplie, celle-ci oscillant en France, bon an mal an, autour de 1,7 enfant; le nombre des mariages reste stable, aux alentours de 280 000, et un couple sur trois continue de divorcer. Familles monoparentales et recomposées constituent environ 8 % des ménages. Elles font aujourd'hui partie du paysage familial courant.

L'insécurité de la filiation fait courir des risques majeurs aux individus comme aux sociétés

Les lieux de débats et les enjeux relatifs à l'institution familiale, pour le prochain siècle, concernent trois domaines : la question de la filiation, la question de la solidarité des générations, et enfin la question de la situation des femmes. Toutes trois, à leur manière, interpellent l'Etat, plus que jamais partie prenante du destin des familles.

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L'insécurité de la filiation, la désaffiliation font courir des risques majeurs aux individus comme aux sociétés. La loi ne dit plus la norme. Si, en 1998, les couples mariés avec enfants composent encore la majorité des 24 millions de ménages français, on sait que les familles recomposées ne cessent d'augmenter. Si ces familles inventent de nouvelles relations, entre le compagnon de la mère et ses enfants, entre demi-frères et faux frères, entre vrais et faux grands-parents, elles ont du mal à être normées par la loi - et pour cause, tant elles sont fluctuantes et complexes. La loi intervient certes, puisque depuis 1993, elle dit que le couple parental doit rester associé même si la relation conjugale est achevée ; qu'ils aient été mariés ou non, les parents exercent une responsabilité conjointe à l'égard de leurs enfants. Mais en cas de mésentente sur les régimes de garde, les parents se retrouvent dans le bureau d'un juge qui ne pourra que statuer en son âme et conscience selon les critères flous de « l'intérêt de l'enfant ».