Les prénoms de la mobilisation

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En France, la mobilisation générale décrétée en août 1914 s’est reflétée dans les registres d’état civil. À partir de plusieurs millions de naissances entre 1905 et 1925, les chercheurs Nicolas Todd et Baptiste Coulmont constatent une nette hausse de la transmission aux nouveau-nés du prénom du père (ou, dans le cas des petites filles, de sa version féminine, Simone pour Simon par exemple) dès les premières semaines de la Grande Guerre : chez les garçons, on passe alors de 12 % de nouveau-nés portant le prénom du père à environ 18 % ; chez les filles, de 4 % à plus de 9 %. La brutalité de ce changement, et le retour à la normale constaté dès mai 1915, soit neuf mois après le départ au front, indique selon les auteurs que la France a alors moins connu un changement global des normes de prénoms qu’un « effet mobilisation », un hommage aux soldats qui risquaient de ne pas revenir : cette hausse ne s’observe d’ailleurs pas dans les foyers où le père est âgé de plus de 35 ans et à ce titre mobilisé dans des unités beaucoup moins exposées. Elle atteint son maximum dans les familles où le père est mort durant la grossesse : entre un tiers et la moitié des « orphelins prénataux » nés entre 1914 et 1916 ont reçu le prénom de leur père. Au-delà de la marque du traumatisme parental, on assiste plus généralement à un « culte du soldat disparu », marqué par une hausse parallèle, qui perdure durant une décennie, des transmissions du prénom d’un oncle mort au combat.


Source : Nicolas Todd et Baptiste Coulmont,  Naming for kin during World War I. Baby names as markers for war », The Journal of Interdisciplinary History, vol. LII, n° 1, été 2021.