Entendu à la télévision, dans une série policière très populaire : quand son supérieur hiérarchique annonce au commissaire Navarro qu'il lui envoie une psychologue, celui-ci réplique : « Je savais qu'il y avait des fous dans mon service, mais je ne savais pas que l'information avait filtré. »
Illustration parfaite du principal obstacle auquel se heurtent les psychologues : leur métier est mal connu, du grand public, mais aussi de leurs clients et de leurs employeurs éventuels, et... des psychologues eux-mêmes. Ainsi, Caroline, qui, son DESS de psychologie clinique en poche, s'est lancée dans la chasse à l'emploi avec une camarade de promotion, avoue : « Au bout de quelques entretiens, nous avons pris une feuille de papier et nous nous sommes fait une grille sur la différence entre psychologue, psychanalyste, psychiatre, éducateur, etc., pour nous définir en tant que professionnelles : on nous le demandait, et nous ne savions pas répondre. »
Une image floue
D'où vient que l'image du métier est aussi floue ? De l'histoire : histoire des mots, histoire des idées, histoire des institutions.
Le terme de « psychologie », ou « science de l'âme », apparaît dans notre langue en 1588 : il désigne une branche de la connaissance qui fait partie de la philosophie et s'enseigne dans ce cadre. La naissance de la psychologie scientifique, au xixe siècle, n'y change rien : les pionniers de cette nouvelle orientation associent une formation scientifique et/ou médicale et une formation à la philosophie.
La psychologie ne prendra son autonomie par rapport à la philosophie, en France, qu'en 1947, avec la création de la licence de psychologie.
Le terme de « psychologue », lui, n'apparaît qu'au début du xxe siècle avec, en même temps, les deux significations qu'il a toujours : celui d'une « personne qui a une connaissance empirique de l'âme humaine » (en ce sens, il est aussi adjectif) et celui d'une « personne qui exerce un des métiers de la psychologie appliquée». Ainsi, dès l'origine, un même terme désigne, d'une part, une qualité, un don ; d'autre part, un métier. Cette confusion est d'autant plus dangereuse que ce métier gardera longtemps des contours très flous. Longtemps, il n'a bénéficié d'aucune définition, d'aucune reconnaissance sociale.
Pour en finir avec l'histoire des mots, notons qu'en 1972, nous avons importé d'Amérique le mot « psy », désignant indifféremment psychologues, psychiatres, psychanalystes et psychothérapeutes. Voilà qui clarifie la situation !
Cette histoire explique la méconnaissance de leur métier dont souffrent, aujourd'hui encore, les psychologues. Dans l'imagerie populaire, deux visions du psychologue émergent, également mythiques mais opposées. A une extrémité du spectre, c'est le « sorcier » ; on appréhende son regard perçant qui sonde les reins et les coeurs, mais on s'attend à ce que, d'un coup de sa baguette magique, il rende dociles les adolescents révoltés, il réconcilie les époux en instance de divorce, il résolve les conflits d'une équipe de soignants. A l'autre extrémité, c'est le « théoricien inefficace », qui camoufle par un nuage de théories fumeuses et de grands mots abscons son ignorance des réalités ; on peut l'utiliser pour faire passer un test par-ci par-là, mais il faut le cantonner à ces tâches techniques et l'empêcher de se mêler du travail des gens sérieux. L'omniprésence de cette image confuse et vaguement inquiétante a des conséquences sérieuses. Celle qui frappe en premier lieu, c'est le contraste entre la popularité du mot et la réalité du métier.