Les réseaux nous rendent-ils asociaux ? Entretien avec Michael Stora

Facebook, Snapchat, Instagram, TikTok… Le psychologue et psychanalyste Michael Stora, pourtant passionné de numérique, s’inquiète du danger lié à la surconsommation des réseaux sociaux.

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« Une bête monstrueuse qui déchire le tissu social et exploite la vulnérabilité humaine. » Dans son dernier livre, Michael Stora rapporte ce témoignage d’anciens cadres de Facebook qui décrivent ainsi ce réseau social gigantesque aux 2,9 milliards d’utilisateurs. M. Stora, psychologue spécialisé dans les pratiques numériques et la cyberaddiction, livre une analyse critique des dommages qu’il constate : captation permanente de l’attention, radicalisation des propos, aggravation des sentiments anxieux et dépressifs, addiction, appauvrissement de la pensée et de la créativité…

Vous avez longtemps défendu l’usage du numérique. Qu’est-ce qui a déclenché ce revirement ?

Quand Facebook est arrivé, j’étais très enthousiaste à l’idée de pouvoir enfin rompre avec cette culture très française du « vivons bien, vivons caché ». Pour moi, c’était une forme d’exhibitionnisme sain, une sorte de grand bal masqué où chacun pouvait enfin oser dire ouvertement ce qu’il pense et être celui qu’il voulait être. Mais peu à peu les choses ont dérivé. L’image est devenue la préoccupation numéro un. On a assisté à la mise en scène d’un « soi cliché ». Le but n’est plus de ressembler à telle ou telle star, mais à un moi filtré, en référence aux filtres photo dont raffolent les réseaux sociaux. Conséquence : de plus en plus de jeunes de 18 à 35 ans ont recours à la chirurgie esthétique aujourd’hui. Beaucoup focalisent leur attention sur une partie de leur corps comme étant à l’origine de leur mal-être. D’autres, à l’image du mouvement pro-ana vont jusqu’à revendiquer l’anorexie comme étant une pratique de vie saine. J’appelle cela une forme de dysmorphie sociétale.