Il y a 2 146 ans, l’empereur de Chine Wudi, de la dynastie Han (202 av. J.-C., 220 apr.), envoya une mission, dirigée par l’officier Zhang Qian, vers le royaume des Yuezhi, situé très loin à l’ouest, en Bactriane. Son but était d’organiser avec celui-ci une alliance stratégique contre leur ennemi commun, les nomades Xiongnu. Ceux-ci avaient en effet repoussé les Yuezhi vers l’ouest et occupaient leurs anciens territoires, aux marges de l’Empire chinois. L’ambassadeur revint treize ans plus tard, riche d’informations sur les pays traversés jusqu’alors inconnus des Chinois – actuels Xinjiang, Ouzbékistan, Afghanistan –, et sur d’autres où il n’était pas entré, la Perse et au-delà.
D’autres missions suivirent ; on apprit l’existence, entre autres, au plus loin à l’ouest, d’un royaume nommé Ligan, ou Lijian. Un pays riche de choses rares, précieuses, qui n’était autre que le monde romain. La Chine avait découvert l’Occident, réalisé « l’ouverture à l’ouest ». Alors se mirent en place, État après État, des relations diplomatiques et commerciales. Entre l’Empire chinois et la Perse (et par elle, indirectement, au-delà), entre eux et tous les royaumes situés entre ces deux pôles, incluant l’Inde du Nord. Tel fut le début de ce que nous appelons aujourd’hui la route, ou les routes, de la Soie : un réseau d’itinéraires commerciaux transcontinentaux, allant de la Chine à la Méditerranée via l’Asie centrale et l’Iran, complété de routes maritimes. Par ces itinéraires circulèrent les marchandises – dont la principale, au départ de la Chine, était la soie – ainsi que les savoirs scientifiques et techniques, les religions et les arts.
Le présent article est limité aux principaux itinéraires terrestres des routes de la Soie. Mais il faut se rappeler qu’en dehors des échanges entre États sans accès à la mer, interviennent, dans le grand commerce, les connexions avec des ports de la côte occidentale de l’Inde (entre autres Barygaza, Barbaricum), eux-mêmes fréquentés par les navires venant de la mer Rouge, du golfe Persique, de Ceylan – ceci dès le premier siècle de notre ère. À partir du grand développement de l’art nautique arabe et du dynamisme commercial des pays musulmans, dès les IXe et Xe siècles, les longs transports transcontinentaux seront progressivement supplantés par les transports par mer. Un phénomène encore accentué avec l’arrivée des Portugais dans le grand commerce Europe-Asie à la fin du XVe siècle.
Ces itinéraires terrestres traversaient de multiples royaumes et principautés, tantôt indépendants, tantôt regroupés sous le contrôle d’un État dominant. Ce fut une suite continue de coagulations et de dissolutions de puissances : Empire chinois, tantôt s’étendant de la Mongolie aux Pamirs, tantôt perdant ses marches allogènes et se concentrant derrière la Grande Muraille ; Empire parthe puis sassanide ; confédérations turques, puissance tibétaine, califat musulman disputant à la Chine le contrôle de l’Asie centrale ; Empire mongol englobant une grande partie de l’Eurasie, recevant le tribut de la Russie et plaçant la descendance de Gengis Khân sur les trônes de Chine et de Perse ; empire soviétique, déstructuré sous nos yeux à la fin du siècle dernier. Le plus souvent, les déclins d’empire et les guerres de conquête entraînaient d’énormes pertes humaines et matérielles : villes pillées et ravagées, canaux détruits, populations exterminées ou réduites en esclavage, déportées.
Sur les pistes cheminèrent, sur d’immenses distances, en des voyages qui duraient des mois et des années à travers hautes montagnes et redoutables déserts, missions diplomatiques, caravanes marchandes, armées en voie de conquête ou en déroute, prisonniers de guerre déportés sur des milliers de kilomètres, prédicateurs de religions en pleine expansion ou chassées par une persécution, et encore voyageurs – volontaires ou non –, techniciens, savants, artistes. Tous ces passeurs véhiculaient marchandises, savoirs, techniques, croyances, et gènes.