Les suricates attaquent ! Ou la violence chez les animaux

Contrairement à la thèse longtemps admise, les humains ne sont pas les seuls à s’entre-tuer. Dans de nombreuses espèces animales, on tue des congénères, on pratique l’infanticide, le fratricide… Les meurtres atteignent parfois des proportions terrifiantes !

L’être humain est un « singe tueur », le seul à tuer des membres de sa propre espèce. Voilà la thèse, fausse, longtemps répandue dans l’opinion. Cette idée ne vient pas de nulle part. Elle a été vulgarisée au début des années 1960 par des scientifiques de premier plan comme le paléontologue Raymond Dart, dont les thèses ont été vulgarisées par l’écrivain Robert Gadrey dans son livre à succès Les Enfants de Caïn. Mais c’est surtout Konrad Lorenz, le père de l’éthologie, qui, avec son livre paru en 1963, De l’agression, une histoire naturelle du mal, va répandre l’idée d’une spécificité humaine dans la capacité à tourner la violence contre sa propre espèce. Son livre connaîtra une audience exceptionnelle.

Konrad Lorenz part d’un constat : la violence est omniprésente dans le monde animal, mais elle reste bornée dans des limites strictes. Les prédateurs, qu’ils soient tigres ou lions, aigles ou requins, tuent leurs proies pour se nourrir, mais ils épargnent les membres de leur espèce. Certes, entre eux, les conflits sont nombreux : on se bat pour défendre son territoire, conquérir les femelles, se disputer une proie ou la place du chef… mais ces combats sont toujours confinés dans des situations précises. Les confrontations entre coqs, cerfs, éléphants de mer, taureaux sont parfois sanglantes mais rarement meurtriers ; ils se réduisent la plupart du temps à des menaces et intimidations ; l’affrontement entre deux loups pour la direction d’une meute n’est pas une lutte à mort. Dès que l’un des combattants a pris le dessus, l’autre s’enfuit ou adopte une posture de soumission : pour marquer sa défaite, il se couche, présente sa gorge et ses organes génitaux ; le vainqueur cesse alors le combat. Chez les babouins, l’animal vaincu montre son postérieur au vainqueur, qui mime alors un acte sexuel en signe de domination. Seuls les humains, affirme Konrad Lorenz, s’entre-tuent, car leur instinct agressif n’est plus canalisé par des programmes de comportement rigides. L’agressivité est devenue chez Homo sapiens une pulsion débridée. À cela s’ajoute le fait que les humains, grâce à leur intelligence, ont inventé des outils et des armes qui augmentent considérablement leur puissance de destruction.

En résumé, si la violence existe partout dans le monde animal, la guerre, les tueries, les massacres au sein d’une même espèce sont une exclusivité humaine : voilà l’idée largement répandue dans le monde savant comme dans l’opinion publique. Ce fut donc un choc quand Jane Goodall observa pour la première fois un meurtre dans un groupe de chimpanzés.

Tuerie chez les chimpanzés

Au début des années 1960, quand Konrad Lorenz fit paraître ses travaux, la jeune primatologue Jane Goodall commençait ses premières observations de groupes de chimpanzés en milieu naturel : précisément dans la forêt de Gombé, en Tanzanie. Elle découvrit bientôt que les chimpanzés utilisaient des outils : ils pêchaient des termites avec des bouts de bois et cassaient des noix à l’aide de pierres et d’enclumes. Cette découverte renforçait leur réputation de primates très intelligents, pas si éloignés des humains. Pour le reste, leur vie en petites communautés, où régnaient une relative promiscuité sexuelle et une hiérarchie instable, confirmait leur réputation de sociabilité.