Emmanuelle est une femme qui vit de façon très libertaire avec son époux, Jean. Dans l’avion qui la conduit à Bangkok pour rejoindre son mari, la belle croise le chemin de deux hommes, avec qui elle partage fugacement quelques plaisirs. À Bangkok, elle s’entiche de deux jeunes filles. Jean, pour sa part, souhaite pousser sa femme dans les bras d’un sexagénaire pervers…
On reconnaît là le synopsis du film éponyme Emmanuelle. Sorti en 1974, non sans un léger parfum de scandale, le long-métrage illustrait de manière subversive un nouvel idéal de relations conjugales. Loin, bien loin de la formule romantique du couple traditionnel des années 1950, il affirmait le plaisir sexuel comme l’un des buts de l’union conjugale : plébiscite de l’indépendance et de l’épanouissement des conjoints en somme, quitte à rechercher le plaisir à l’extérieur de l’union.
Toute la génération des années 1970 n’a pas eu le destin d’Emmanuelle, loin s’en faut. Mais ces quelques années ont marqué une rupture sans précédent dans la petite histoire du couple. L’œil de la sociologie actuelle permet d’analyser avec recul cette transformation, dont les ramifications n’ont pas fini de nourrir les rapports hommes/femmes d’aujourd’hui.
« Être libres ensemble », voilà comment François de Singly (1) formule le défi du couple moderne, celui issu des années 1970. Dans le modèle de la modernité, chacun préserve son jardin intérieur, les partenaires sont « deux sans se confondre ». La rupture est envisagée comme possible dès le début. Quand l’union n’est plus synonyme d’épanouissement personnel pour les deux parties, elle cesse. Elle ne se poursuit qu’en raison des bilans positifs tirés régulièrement par les deux partenaires.
Pour Anthony Giddens, la pureté a pris à ce moment la place du romantisme, pureté signifiant ici authenticité. Mais, paradoxalement, c’est à l’avantage des femmes, le romantisme reposant au final sur une inégalité entre les genres et sur une demande d’exclusivité sexuelle. Pour le sociologue, en effet, le modèle de fusion romantique ne fonctionne que si l’un des conjoints accepte de réduire sa subjectivité à celle de l’autre. Or historiquement, rappelle-t-il, ce sont les femmes qui étaient destinées à « disparaître » dans le couple. Ti-Grace Atkinson (2), à ce propos, nous gratifiait d’une joyeuse formule en affirmant les femmes victimes, via le mariage, de « cannibalisme métaphysique » (les femmes faisant de l’amour davantage que les hommes l’essentiel de leur vie).
Serge Chaumier, pour sa part, appelle « amour fissionnel » ce nouveau type de rapport entre partenaires. Pour lui, même si l’idéal romantique demeure prégnant, la fusion est en recul dans les pratiques quotidiennes. Le temps est à l’émergence du ternaire : 1 + 1 = 3. La relation est la réunion de deux histoires, qui ouvre sur une troisième histoire. Il est loin le temps où faire couple signifiait tout partager, du programme télévisé aux sorties entre amis.
Le couple n’est plus la confusion de deux destins… L’individu moderne rêve d’une union tout en tenant à son autonomie et à son indépendance personnelle. Particulièrement les femmes qui ont le désir maintenant d’exister pour elles-mêmes.
Ensemble, mais chacun chez soi…
Cette transformation de l’intimité se révèle dans les nouveaux modes de vie en commun. Les unions sont non seulement plus tardives (laissant à chacun, homme comme femme, le soin de se réaliser, dans les études par exemple, et d’accumuler des expériences sentimentales) mais, par ailleurs, n’impliquent plus automatiquement la cohabitation. Ainsi, un même individu peut affirmer conjointement qu’il vit en couple et que chacun a conservé sa résidence personnelle. Pour Jean-Claude Kaufmann, faire couple aujourd’hui, ce n’est plus nécessairement partager un quotidien, c’est se « déclarer un couple ».
Il faut cependant nuancer le poids de la non-cohabitation dans les nouveaux modes de conjugalité : ce mode d’union n’est, dans la majorité des cas, pas un vrai choix de vie. Il constitue souvent un temps de transition, laissant libre cours aux partenaires afin de préciser leurs jugements et leurs expectatives.
Autre nouveauté dans les modalités d’union : le pacs. Chez les couples hétérosexuels, explique le psychiatre Serge Hefez, ce nouveau mode d’union est une prise de position à la fois moderne et pragmatique vis-à-vis de la société. Il constitue une alternative au mariage, souvent jugé trop « poussiéreux », tout en inscrivant l’union dans une réalité matérielle (partage des biens, etc.). Fait remarquable : le nombre de pacs, qui augmente chaque année, est de moins en moins l’apanage des couples homosexuels (tableau ci-dessous).
À l’inverse, ceux-ci revendiquent le passage devant le maire et l’adoption d’enfants. Pour certains sociologues, on assiste à une convergence entre couple homosexuel et hétérosexuel. Les chiffres le confirment : aujourd’hui, le désir d’enfant au sein d’un couple homosexuel est de plus en plus manifeste. 50 % des personnes homosexuelles vivent en couple, 10 % ont des enfants et 40 à 50 % en expriment le désir. Signe des temps, l’APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens), créée en 1986, a vu ses effectifs décupler ces dernières années. De 75 adhérents en 1995, elle est passée à 1 400 aujourd’hui. Une transformation de la société qui semble progressivement rentrer dans les mentalités : 46 % des Français sont d’accord avec l’idée qu’« un enfant s’épanouit de la même manière si ses parents sont homosexuels ou hétérosexuels » (Ifop, décembre 2006).
La fidélité, madeleine de Proust du couple moderne !
De nouveaux modes de mise en couple certes, mais, on le voit, l’attirance pour le mariage traditionnel et la vie de famille reste manifeste, jusqu’à toucher les couples gays en mal de reconnaissance. Passer à la mairie reste le moyen d’officialiser l’union vis-à-vis à l’extérieur. Si le nombre de pacs augmente chaque année, il n’en reste pas moins nettement inférieur au nombre de mariages célébrés. En 2006, on célébrait trois fois plus de mariages que de pacs. Le nouveau couple serait-il en somme plus traditionnel que les représentations actuelles le laisseraient penser ?
Finalement, le couple moderne a-t-il redéfini les rapports homme/femme ? Si les filles sont plus libérées, il semble qu’une fois les couples formés, les attributions classiques des hommes et des femmes se retrouvent (entretien p. 32). Exemple frappant : la paternité a très peu d’impact sur la vie professionnelle des hommes vivant en couple (3). Parallèlement, si les mères ont globalement gagné leur indépendance au travail, il n’en demeure pas moins que 20 % d’entre elles ne travaillent pas, contre respectivement 3 % des femmes sans enfants.
Interroger le nouveau couple signifie également aller voir du côté des jeunes comment les représentations de l’union conjugale ont évolué. Dans le cadre d’une étude très large réalisée sur une période de douze ans à l’université de Liège (4), des individus de plus de 18 ans ont été interrogés sur leur vie intime. On a observé une prise de distance nette avec les valeurs véhiculées pendant les années de libération des mœurs. Dans les années 1970, il était fréquent d’avoir plusieurs partenaires, d’aimer plusieurs individus à la fois. En 2002, date de l’enquête, ils ne sont plus que 3 % des 30-35 ans à plébisciter ce type d’unions, qui ne recueille guère davantage de suffrages chez les plus jeunes. À l’inverse, 62 % des moins de 20 ans s’estiment d’accord avec l’affirmation selon laquelle la fidélité est essentielle au bonheur du couple, presque autant que les individus de plus de 45 ans. L’amour sans sentiments est condamné, non par respect de soi, mais parce que, analyse la sociologue Bernadette Bawin-Legros, « les hommes et les femmes postmodernes désirent de la tendresse et une intensité affective ». Pour la sociologue, rester fidèle le temps de l’amour est une absolue nécessité, même si ce dernier ne requiert plus le sérieux de la durée. En clair, on se sépare plus facilement, le cadre législatif donne une certaine souplesse en ce sens, mais l’on cherche une communion de sentiments le temps de l’union. Les jeunes ne défendent plus le droit à la jouissance, ils sont désormais plus soucieux d’un couple stable que de consommation sexuelle sans amour. Enterrement de vie de garçon, de vie de jeune fille, retour en force des fiançailles, le regain de ces anciens rituels observés chez les nouvelles générations ne serait-il pas le témoignage d’un retour de balancier ?
La vie à deux, cocon affectif…
Le fait qu’à présent tous les comportements en la matière sont permis a, selon la sociologue, démystifié le sexe. Par ailleurs, beaucoup d’enfants de la génération 1970, marqués par la séparation ou le divorce de leurs parents, cherchent en contrepoint une sécurité affective. Déclarer la « fidélité » valeur centrale du couple n’est pas synonyme de respecter un régime de monogamie strict à l’intérieur de l’union conjugale (article p. 36). Loin s’en faut. L’enquête réalisée à Liège a cependant le mérite d’interroger les « représentations » du couple chez les jeunes. Savoir ce qui « fait » le couple dans l’esprit de la génération nouvelle est aussi détaillé dans l’étude. On s’y attendait, les jeunes sont moins nombreux que leurs aînés à considérer la cohabitation comme le signe incontournable de la vie conjugale. Seuls 8 % des moins de 20 ans affirment que c’est « cohabiter sous le même toit » qui fonde l’union. Avoir des enfants n’est pas plus considéré comme le marqueur de la conjugalité : à peine 5 % des moins de 20 ans estiment que la progéniture donne aux partenaires une identité de couple. En revanche, ils sont 55 % à percevoir le « partage d’idées et de sentiments » comme l’essence de la vie à deux. Rien d’étonnant, affirme la sociologue : la nouvelle jeunesse voit dans l’épanouissement personnel un Graal à atteindre, épanouissement qui passe par le couple, mais aussi par le travail et les activités de loisir.
Dans une époque symbolisée par la montée de l’individualisme, le développement personnel prend de l’importance. Au nom du « bien-être », il promeut conjointement les notions de réussite, de performance, et la recherche d’une vie intérieure enrichie. Le nouveau couple est à l’image de ces injonctions. Tout à la fois exigeant en qualité de sentiments, donc limité dans le temps (on n’hésite pas à se séparer quand le sentiment n’est plus au rendez-vous), il n’en demeure pas moins traditionnel dans ses valeurs. La génération moderne reste porteuse d’idéaux réconfortants de réalisation de soi, qu’elle applique le temps que l’union dure : authenticité, sincérité et stabilité. « La spirale de l’individualisme n’équivaut pas à la débauche des corps, mais à la recherche de rapports constructifs », résume B. Bawin-Legros. Au sein du nouveau couple, revendiquer son individualité ne signifie pas forcément oser toutes les libertés.
NOTES
(1) François de Singly, Libres ensemble. L’individualisme dans la vie commune, 2000, rééd. Armand Colin, 2005.
(2) Ti-Grace Atkinson, L’Odyssée d’une amazone, éd. Des femmes, 1975.
(3) Thomas Couppié et Dominique Épiphane, « Vivre en couple et être parent : impacts sur les débuts de carrière », Bref, n° 241, mai 2007.
(4) Étude citée par Bernadette Bawin-Legros, Génération désenchantée. Le monde des trentenaires, Payot, 2006.
On reconnaît là le synopsis du film éponyme Emmanuelle. Sorti en 1974, non sans un léger parfum de scandale, le long-métrage illustrait de manière subversive un nouvel idéal de relations conjugales. Loin, bien loin de la formule romantique du couple traditionnel des années 1950, il affirmait le plaisir sexuel comme l’un des buts de l’union conjugale : plébiscite de l’indépendance et de l’épanouissement des conjoints en somme, quitte à rechercher le plaisir à l’extérieur de l’union.
Toute la génération des années 1970 n’a pas eu le destin d’Emmanuelle, loin s’en faut. Mais ces quelques années ont marqué une rupture sans précédent dans la petite histoire du couple. L’œil de la sociologie actuelle permet d’analyser avec recul cette transformation, dont les ramifications n’ont pas fini de nourrir les rapports hommes/femmes d’aujourd’hui.
« Être libres ensemble », voilà comment François de Singly (1) formule le défi du couple moderne, celui issu des années 1970. Dans le modèle de la modernité, chacun préserve son jardin intérieur, les partenaires sont « deux sans se confondre ». La rupture est envisagée comme possible dès le début. Quand l’union n’est plus synonyme d’épanouissement personnel pour les deux parties, elle cesse. Elle ne se poursuit qu’en raison des bilans positifs tirés régulièrement par les deux partenaires.
Pour Anthony Giddens, la pureté a pris à ce moment la place du romantisme, pureté signifiant ici authenticité. Mais, paradoxalement, c’est à l’avantage des femmes, le romantisme reposant au final sur une inégalité entre les genres et sur une demande d’exclusivité sexuelle. Pour le sociologue, en effet, le modèle de fusion romantique ne fonctionne que si l’un des conjoints accepte de réduire sa subjectivité à celle de l’autre. Or historiquement, rappelle-t-il, ce sont les femmes qui étaient destinées à « disparaître » dans le couple. Ti-Grace Atkinson (2), à ce propos, nous gratifiait d’une joyeuse formule en affirmant les femmes victimes, via le mariage, de « cannibalisme métaphysique » (les femmes faisant de l’amour davantage que les hommes l’essentiel de leur vie).
Serge Chaumier, pour sa part, appelle « amour fissionnel » ce nouveau type de rapport entre partenaires. Pour lui, même si l’idéal romantique demeure prégnant, la fusion est en recul dans les pratiques quotidiennes. Le temps est à l’émergence du ternaire : 1 + 1 = 3. La relation est la réunion de deux histoires, qui ouvre sur une troisième histoire. Il est loin le temps où faire couple signifiait tout partager, du programme télévisé aux sorties entre amis.
Le couple n’est plus la confusion de deux destins… L’individu moderne rêve d’une union tout en tenant à son autonomie et à son indépendance personnelle. Particulièrement les femmes qui ont le désir maintenant d’exister pour elles-mêmes.
Ensemble, mais chacun chez soi…
Cette transformation de l’intimité se révèle dans les nouveaux modes de vie en commun. Les unions sont non seulement plus tardives (laissant à chacun, homme comme femme, le soin de se réaliser, dans les études par exemple, et d’accumuler des expériences sentimentales) mais, par ailleurs, n’impliquent plus automatiquement la cohabitation. Ainsi, un même individu peut affirmer conjointement qu’il vit en couple et que chacun a conservé sa résidence personnelle. Pour Jean-Claude Kaufmann, faire couple aujourd’hui, ce n’est plus nécessairement partager un quotidien, c’est se « déclarer un couple ».Il faut cependant nuancer le poids de la non-cohabitation dans les nouveaux modes de conjugalité : ce mode d’union n’est, dans la majorité des cas, pas un vrai choix de vie. Il constitue souvent un temps de transition, laissant libre cours aux partenaires afin de préciser leurs jugements et leurs expectatives.
Autre nouveauté dans les modalités d’union : le pacs. Chez les couples hétérosexuels, explique le psychiatre Serge Hefez, ce nouveau mode d’union est une prise de position à la fois moderne et pragmatique vis-à-vis de la société. Il constitue une alternative au mariage, souvent jugé trop « poussiéreux », tout en inscrivant l’union dans une réalité matérielle (partage des biens, etc.). Fait remarquable : le nombre de pacs, qui augmente chaque année, est de moins en moins l’apanage des couples homosexuels (tableau ci-dessous).
À l’inverse, ceux-ci revendiquent le passage devant le maire et l’adoption d’enfants. Pour certains sociologues, on assiste à une convergence entre couple homosexuel et hétérosexuel. Les chiffres le confirment : aujourd’hui, le désir d’enfant au sein d’un couple homosexuel est de plus en plus manifeste. 50 % des personnes homosexuelles vivent en couple, 10 % ont des enfants et 40 à 50 % en expriment le désir. Signe des temps, l’APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens), créée en 1986, a vu ses effectifs décupler ces dernières années. De 75 adhérents en 1995, elle est passée à 1 400 aujourd’hui. Une transformation de la société qui semble progressivement rentrer dans les mentalités : 46 % des Français sont d’accord avec l’idée qu’« un enfant s’épanouit de la même manière si ses parents sont homosexuels ou hétérosexuels » (Ifop, décembre 2006).
La fidélité, madeleine de Proust du couple moderne !
De nouveaux modes de mise en couple certes, mais, on le voit, l’attirance pour le mariage traditionnel et la vie de famille reste manifeste, jusqu’à toucher les couples gays en mal de reconnaissance. Passer à la mairie reste le moyen d’officialiser l’union vis-à-vis à l’extérieur. Si le nombre de pacs augmente chaque année, il n’en reste pas moins nettement inférieur au nombre de mariages célébrés. En 2006, on célébrait trois fois plus de mariages que de pacs. Le nouveau couple serait-il en somme plus traditionnel que les représentations actuelles le laisseraient penser ?Finalement, le couple moderne a-t-il redéfini les rapports homme/femme ? Si les filles sont plus libérées, il semble qu’une fois les couples formés, les attributions classiques des hommes et des femmes se retrouvent (entretien p. 32). Exemple frappant : la paternité a très peu d’impact sur la vie professionnelle des hommes vivant en couple (3). Parallèlement, si les mères ont globalement gagné leur indépendance au travail, il n’en demeure pas moins que 20 % d’entre elles ne travaillent pas, contre respectivement 3 % des femmes sans enfants.
Interroger le nouveau couple signifie également aller voir du côté des jeunes comment les représentations de l’union conjugale ont évolué. Dans le cadre d’une étude très large réalisée sur une période de douze ans à l’université de Liège (4), des individus de plus de 18 ans ont été interrogés sur leur vie intime. On a observé une prise de distance nette avec les valeurs véhiculées pendant les années de libération des mœurs. Dans les années 1970, il était fréquent d’avoir plusieurs partenaires, d’aimer plusieurs individus à la fois. En 2002, date de l’enquête, ils ne sont plus que 3 % des 30-35 ans à plébisciter ce type d’unions, qui ne recueille guère davantage de suffrages chez les plus jeunes. À l’inverse, 62 % des moins de 20 ans s’estiment d’accord avec l’affirmation selon laquelle la fidélité est essentielle au bonheur du couple, presque autant que les individus de plus de 45 ans. L’amour sans sentiments est condamné, non par respect de soi, mais parce que, analyse la sociologue Bernadette Bawin-Legros, « les hommes et les femmes postmodernes désirent de la tendresse et une intensité affective ». Pour la sociologue, rester fidèle le temps de l’amour est une absolue nécessité, même si ce dernier ne requiert plus le sérieux de la durée. En clair, on se sépare plus facilement, le cadre législatif donne une certaine souplesse en ce sens, mais l’on cherche une communion de sentiments le temps de l’union. Les jeunes ne défendent plus le droit à la jouissance, ils sont désormais plus soucieux d’un couple stable que de consommation sexuelle sans amour. Enterrement de vie de garçon, de vie de jeune fille, retour en force des fiançailles, le regain de ces anciens rituels observés chez les nouvelles générations ne serait-il pas le témoignage d’un retour de balancier ?
La vie à deux, cocon affectif…
Le fait qu’à présent tous les comportements en la matière sont permis a, selon la sociologue, démystifié le sexe. Par ailleurs, beaucoup d’enfants de la génération 1970, marqués par la séparation ou le divorce de leurs parents, cherchent en contrepoint une sécurité affective. Déclarer la « fidélité » valeur centrale du couple n’est pas synonyme de respecter un régime de monogamie strict à l’intérieur de l’union conjugale (article p. 36). Loin s’en faut. L’enquête réalisée à Liège a cependant le mérite d’interroger les « représentations » du couple chez les jeunes. Savoir ce qui « fait » le couple dans l’esprit de la génération nouvelle est aussi détaillé dans l’étude. On s’y attendait, les jeunes sont moins nombreux que leurs aînés à considérer la cohabitation comme le signe incontournable de la vie conjugale. Seuls 8 % des moins de 20 ans affirment que c’est « cohabiter sous le même toit » qui fonde l’union. Avoir des enfants n’est pas plus considéré comme le marqueur de la conjugalité : à peine 5 % des moins de 20 ans estiment que la progéniture donne aux partenaires une identité de couple. En revanche, ils sont 55 % à percevoir le « partage d’idées et de sentiments » comme l’essence de la vie à deux. Rien d’étonnant, affirme la sociologue : la nouvelle jeunesse voit dans l’épanouissement personnel un Graal à atteindre, épanouissement qui passe par le couple, mais aussi par le travail et les activités de loisir.Dans une époque symbolisée par la montée de l’individualisme, le développement personnel prend de l’importance. Au nom du « bien-être », il promeut conjointement les notions de réussite, de performance, et la recherche d’une vie intérieure enrichie. Le nouveau couple est à l’image de ces injonctions. Tout à la fois exigeant en qualité de sentiments, donc limité dans le temps (on n’hésite pas à se séparer quand le sentiment n’est plus au rendez-vous), il n’en demeure pas moins traditionnel dans ses valeurs. La génération moderne reste porteuse d’idéaux réconfortants de réalisation de soi, qu’elle applique le temps que l’union dure : authenticité, sincérité et stabilité. « La spirale de l’individualisme n’équivaut pas à la débauche des corps, mais à la recherche de rapports constructifs », résume B. Bawin-Legros. Au sein du nouveau couple, revendiquer son individualité ne signifie pas forcément oser toutes les libertés.
NOTES
(1) François de Singly, Libres ensemble. L’individualisme dans la vie commune, 2000, rééd. Armand Colin, 2005.
(2) Ti-Grace Atkinson, L’Odyssée d’une amazone, éd. Des femmes, 1975.
(3) Thomas Couppié et Dominique Épiphane, « Vivre en couple et être parent : impacts sur les débuts de carrière », Bref, n° 241, mai 2007.
(4) Étude citée par Bernadette Bawin-Legros, Génération désenchantée. Le monde des trentenaires, Payot, 2006.