Petite chronologie. Le lundi 5 mai 1986, neuf jours après l'explosion du réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, la Commission européenne envisage des mesures sanitaires. La France exige un vote à l'unanimité et empêche toute décision contraignante. Le lendemain, le ministère français de l'Agriculture diffuse ce communiqué aujourd'hui « historique » : « Le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l'accident de la centrale de Tchernobyl 1. »
Le 24 février 2002, la Criirad (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité), association militante créée au lendemain de Tchernobyl, publie un atlas qui révèle de façon détaillée la contamination du territoire français par le nuage de Tchernobyl et accuse les autorités françaises d'avoir caché la vérité.
Par ailleurs, lors d'un congrès de l'Association française de science politique en 2002, la politologue Marie-Claude Smouts déclarait : « En dépit de Tchernobyl, (...) et du fait qu'aucune solution faisant l'unanimité n'a encore été trouvée pour la gestion des déchets nucléaires, le risque nucléaire n'est plus évoqué aujourd'hui comme risque environnemental global que par une poignée d'écologistes. Les populations semblent s'en accommoder, à condition que ni les centrales nucléaires ni le stockage des déchets ne soient dans leur voisinage immédiat. Le réflexe nimby (not in my backyard) tient lieu de contestation. Bien plus, on assiste à un "verdissement" du nucléaire. » Verdissement dans la mesure où l'argumentation pronucléaire cherche à habiller l'énergie atomique de toutes les vertus écologiques.
Vendredi 25 mars 2005 : la juge d'instruction en charge du dossier communique aux parties civiles le rapport sur les mesures de radioactivité effectuées par les autorités françaises en 1986 et les chiffres publiés, qui viennent de lui être remis par deux experts. Les conclusions semblent mettre en cause le gouvernement français de l'époque et le SCPRI (Service central de protection contre les radiations ionisantes). Il n'y aurait pas eu « erreur » de la part de ces autorités, mais bien une dissimulation des risques tant du point de vue sanitaire qu'environnemental 2.
De Tchernobyl à Johannesburg
Paradoxalement, au cours des vingt dernières années, la position de l'Etat français comme des différents gouvernements vis-à-vis de l'environnement a changé. Depuis Tchernobyl, la question environnementale a pris un essor considérable dans l'agenda politique et notamment en politique étrangère. Avec une forte accélération ces cinq dernières années. De la Charte de l'environnement adoptée en 2005 au projet d'Organisation mondiale de l'environnement défendu depuis 2002, en passant par les discours, et notamment celui du président de la République à Johannesburg en 2002, la politique étrangère de la France semble être entrée dans un cercle vertueux. L'épisode Tchernobyl a-t-il porté ses fruits ? S'agit-il d'une prise de conscience ? Peut-être, mais pour ce qui concerne le verdissement du nucléaire, les raisons semblent plus complexes. Tout du moins, la genèse de ce verdissement ne semble pas être du simple ressort de la volonté politique de quelques diplomates ou hommes d'Etat. « Le verdissement correspond-il réellement à l'arrivée de l'environnement sur l'agenda de politique étrangère, ou simplement à l'arrivée de l'argument environnemental sur celui-ci ? En d'autres termes, l'environnement est-il devenu une vraie thématique, ou simplement une rhétorique diplomatique ? », s'interroge Emmanuelle Mühlenhöver dans L'Environnement en politique étrangère : raisons et illusions 3. Son hypothèse : dès lors que l'environnement est introduit en politique étrangère par les décideurs, il est instrumentalisé. La démonstration tient en quatre points. Des rationalités économiques et commerciales sous-tendent les entreprises de verdissement de la politique étrangère, des logiques financières appuient ces politiques ; l'instrumentalisation de l'argument environnemental peut également se faire au nom de rationalités politiques et médiatiques et il existe des rationalités d'ordre stratégique.