Moeurs et coutumes du député français

Marc Abéls, Odile Jacob, 2000, 280 p., 150 F.
A partir d'une visite guidée du Palais-Bourbon et de ses habitants, l'ethnologue Marc Abélès s'interroge : à quoi servent les parlementaires ?
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L'ethnologie, même du proche, commence par la distance. « Après tout, quand un ethnologue débarque dans une société inconnue, il ne cherche pas à savoir si les manières de faire la cuisine, l'amour, les rituels ou la politique sont bonnes ou mauvaises. Pourquoi ne pas appliquer la même méthode à l'Assemblée nationale ? » De fait, là où d'autres auraient commencé par soulever le problème du pouvoir parlementaire, celui du cumul des mandats ou encore celui de la crise de la représentation, Marc Abélès se contente d'ouvrir les débats par une visite guidée du Palais-Bourbon.

Que connaissent en effet les Français de ce lieu à la fois sacré et républicain ? De cet hémicycle à demi-désert que l'on aperçoit à la télévision le mercredi ? Des allégories du peintre Horace Vernet ? L'auteur profite d'abord de son admission dans ce lieu plutôt intimidant pour en parcourir les espaces intérieurs. En même temps que les tentures et les peintures pompières, on y trouve, constate-t-il, tout l'équipement d'un paquebot de luxe : salons publics, salons réservés, buvettes, salle de sport, bibliothèque, salon de coiffure, débit de tabac, et cabinets particuliers. Le tout planté dans un décor plus impérial que démocratique, car l'actuel Palais-Bourbon fut décoré sous la Restauration et les symboles de la République y sont rares.

M. Abélès se laisse donc gagner par un malaise citoyen. Dorures, bonnes manières, privilèges et services : tous ces signes extérieurs de distinction font du Palais-Bourbon une sorte de club chic, avec ses règles, ses protocoles et ses moeurs locales bien particulières : le salon de gauche et le salon de droite, le tutoiement généralisé, les tarifs préférentiels accordés aux élus, mais aussi les insultes dans l'hémicycle, les chansons partisanes à la buvette et l'interdit fait aux militaires (même en civil) d'entrer à l'Assemblée sans autorisation.

Certes, ce club n'est pas vraiment fermé : on y accède par la grande porte en « mouillant sa chemise », en se faisant élire, bref au mérite. Mais ces protocoles inflexibles, cet embourgeoisement croissant qui font qu'aujourd'hui, moins que jamais, on ne peut entrer sans cravate et langue châtiée, sont-ils bien légitimes ? Tout cela ne justifie-t-il pas que l'on accuse le Palais et ses habitués d'avoir perdu contact avec le peuple et la « vraie vie » ? M. Abélès, à vrai dire, est pris entre deux envies : celle de dénoncer le poids de ces usages guindés (qui irritent invariablement les jeunes élus), et celle de montrer tout le professionnalisme qui s'y trouve investi, notamment chez les employés et fonctionnaires de l'Assemblée. Les huissiers ne sont-ils pas capables de reconnaître un élu « à sa démarche » ?