On ne saurait nier l'importance du chemin parcouru au cours de ces années ; le monde n'a sans doute jamais été aussi intégré qu'aujourd'hui tant les liens entre les peuples, économiques bien sûr, mais également politiques et culturels, sont devenus étroits. Mais s'il est compréhensible et justifié que la mondialisation soit au coeur des préoccupations, l'inflation verbale dont elle fait l'objet a peut-être fait oublier que le mot désignait un processus fort ancien.
La mondialisation, fondamentalement, peut être définie comme un processus d'inclusion dans un même ensemble d'entités distinctes, politiques, géographiques et autres. Que l'on garde cette définition à l'esprit, et l'on se convainc aisément que les années 90 n'ont fait que parachever un phénomène séculaire. On peut relever tout au long de l'histoire des siècles passés des dynamiques qui, additionnées, ont contribué à unifier des espaces auparavant cloisonnés et à rapprocher des peuples qui ne se connaissaient pas.
Un processus pluriséculaire
Prenons l'exemple des grandes découvertes, à la fin du xve siècle. Quel sujet plus étranger, en apparence, à l'univers de la mondialisation ? Et pourtant... Les grandes découvertes, en un sens, ouvrent la voie au processus de décloisonnement universel qu'est la mondialisation. Les mêmes observations peuvent être faites concernant la révolution industrielle, la révolution des transports, ou encore la formation puis le démantèlement des empires coloniaux. Il s'agit dans chacun de ces cas de jalons importants de l'histoire de la mondialisation.
La révolution industrielle accroît considérablement le volume des productions. Elle met ainsi fin aux crises de sous-production mais, ironie de l'histoire, par là-même ouvre une brèche aux crises de surproduction. Les sociétés développées n'auront plus à craindre la pénurie mais la surabondance. La course aux débouchés peut donc commencer, favorisée par l'émergence de nouveaux moyens de transport (chemin de fer et bateau à vapeur) permettant de relier des marchés jusqu'alors inaccessibles. De nouveaux espaces doivent être ouverts. La colonisation apparaît alors comme une arme indispensable dans la course qui s'engage entre les Européens. Comme chacun sait, elle affectera durablement les rapports entre l'Occident et le reste du monde. Mais considérée du point de vue de sa contribution au processus de décloisonnement et de rapprochement entre les peuples, donc au processus de mondialisation, son rôle aura été essentiel. Lorsqu'après la Seconde Guerre mondiale, les empires s'effondrent et que les anciens peuples sous domination européenne font leur entrée sur une scène politique désormais réellement mondiale, un cycle s'achève. Mais le bouleversement des règles du jeu n'annule en rien le processus entamé avec la colonisation. Les peuples ne peuvent plus vivre en complète autarcie, ne peuvent ignorer la présence de l'Autre. Leur destin est désormais lié.
Aujourd'hui, la mondialisation connaît un nouveau souffle, portée par l'explosion de flux de toutes sortes, commerciaux et financiers bien sûr, mais également flux de communication et d'information. Mais, on l'aura compris, ces mutations des années 90, généralement désignées comme les piliers de la mondialisation, aussi importantes soient-elles, ne sont que les derniers avatars d'une histoire déjà ancienne. Notre époque est marquée par l'explosion des flux financiers de toutes sortes. Les transactions journalières ont atteint de tels niveaux, la spéculation a eu des effets parfois si dramatiques que régulièrement des voix s'élèvent, dénonçant le pouvoir exorbitant des marchés financiers. Comment ceux-ci, hier muselés par les Etats, en sont-ils venus à inquiéter ? Les transformations qui les ont élevés au rang de puissance menaçante sont bien connues.