Mourir...et après ? Rencontre avec Maurice Godelier

Les imaginaires de l’au-delà sont certes très différents selon 
les cultures et les religions. Mais ils ont en commun de refuser que 
la mort soit autre chose que le passage à une forme de vie différente.

Maurice Godelier est un anthropologue qui aime s’attaquer à de grandes questions avec l’outil préféré du navigateur de haute mer : la longue-vue, qui permet aussi bien de se tourner vers des horizons lointains que de ramener la focale sur les derniers développements des sociétés occidentales. Et la comparaison vaut aussi dans le temps, entre les Baruyas (Nouvelle-Guinée) d’hier et ceux d’aujourd’hui. À procéder ainsi, son regard s’est aiguisé à la recherche de ce qui, à travers la déroutante variété des pratiques, des croyances et des institutions humaines, en constitue le leitmotiv récurrent : la force des imaginaires et le poids des symboles. En une trentaine d’années, il a successivement exploré les ressorts de la domination masculine (La production des grands hommes, 1982), les fondements symboliques du don (L’Énigme du don, 1997), l’évolution de la filiation dans la famille moderne (Métamorphoses de la parenté, 2004), les imaginaires du pouvoir (Au fondement des sociétés humaines, 2007), et donné lecture des aspects les plus importants de l’œuvre de Claude Lévi-Strauss (Lévi-Strauss, 2013). Son dernier essai, nourri par des contributions d’anthropologues et d’historiens, porte sur un sujet non moins universel : les imaginaires de la mort et de l’au-delà. Et la leçon qu’il en tire est qu’en dépit de la sagesse d’un Montaigne – pour lequel philosopher, c’est apprendre à mourir –, l’humanité dans son ensemble préfère penser que c’est apprendre à survivre.

 

Pourquoi avoir traité conjointement de la mort et de ses au-delà ? L’une est un phénomène physique, l’autre est une croyance à laquelle on peut ou non adhérer.

En fait, la question est venue de médecins qui s’interrogeaient sur la meilleure manière de faire face à la mort, car aujourd’hui, l’hôpital est le lieu où beaucoup de personnes âgées vont mourir et parfois elles sont très seules pour affronter la situation. On a donc créé des départements de soins palliatifs pour accompagner la fin de vie des gens. Mais pour les médecins qui les suivent, c’est perturbant : par tradition, ils voient leur rôle comme celui de quelqu’un qui redonne la vie aux malades. Dans les unités palliatives, ils sont délégués à l’accompagnement vers la mort. Le personnel soignant est amené à jouer des rôles d’amis ou de parents, de proches… Un certain nombre d’entre eux m’ont demandé de mener une réflexion avec des anthropologues et des historiens sur la manière dont la mort pouvait être décrite et vécue dans des cultures et à des époques différentes et j’ai sollicité un certain nombre de collègues. C’est ce qui a donné ce recueil de textes : quatorze articles décrivant ce que l’on sait de la mort et de l’au-delà dans différentes sociétés du monde occidental, oriental, océanien, amazonien, et pour certaines appartenant à l’Antiquité et au Moyen-Âge. L’échantillon est partiel, bien réparti, cependant l’Afrique est absente.

En fait, il ne faudrait pas parler de la mort, mais de ses étapes : le mourant, le moment de la mort proprement dit, et l’au-delà de la mort. En ce qui concerne les mourants, il y a deux attitudes principales : soit on dramatise le moment, on pleure déjà la disparition du futur défunt, soit on ne montre rien, on fait preuve du plus grand calme, on maîtrise toute émotion. Ensuite, après le décès, le corps doit obligatoirement recevoir un traitement, il faut disposer du cadavre. Là, il y a plusieurs genres de procédés : inhumation, crémation, exposition. Puis vient une période de deuil, qui est un comportement social contraint, mais aussi une croyance métaphysique, qui est que les morts continuent d’exister sous une forme ou une autre.