« Avec l'histoire fortuite et privée de ma personne fortuite et privée, je crois - et je demande qu'on n'y voie nulle outrecuidance - que je raconte une partie importante et inconnue de l'histoire allemande. » Telle est la déclaration que fit un jeune juriste de Berlin, Sébastien Haffner, dans un témoignage écrit en 1938 mais seulement révélé au public en l'an 2000. Cette déclaration fut peut-être l'un des points de départ qui permirent à l'historien Marc Ferro d'écrire son dernier livre... En effet, que révèle ce témoignage ? Tout simplement l'univers mental d'un Allemand on ne peut plus ordinaire... Sur les bancs de l'école, il entend parler des crises qui secouent la république de Weimar, notamment la grande inflation de 1923, assiste à la montée d'un climat délétère et fataliste, où le ressentiment face au chômage entraîne l'apparition d'un esprit belliqueux - y compris chez ses camarades de classe, qui se plaisent à rosser ceux qui font figure de spartakistes. Adolf Hitler lui fait horreur, ce qui est le cas chez tout « Allemand normal », écrit-il, mais le personnage fascine. Pourtant, quelques semaines plus tard, le jeune homme se retrouve à marcher dans les rues de Berlin, botté, affublé du brassard à la croix gammée et chantant en choeur avec les autres soldats... Certes, il ne se reconnaît pas dans ce rôle : il effectue là son service militaire et s'exilera peu de temps après à Londres. Il n'empêche qu'un tel cas de figure illustre parfaitement comment le décalage existant entre l'histoire, ses grands événements, et l'histoire des gens ordinaires peut se trouver brutalement réduit à néant.
On n'échappe pas à l'histoire
Les individus face aux crises du XXe siècle. L'histoire anonyme.Marc Ferro, Odile Jacob, 2005, 430 p., 25 €.
L'historien Marc Ferro montre que le trajet de vie de chaque individu - fût-il le plus obscur - représente une « miniature de l'histoire ». Selon lui, c'est dans les moments de crise que les trajectoires individuelles rencontrent les grands événements. L'histoire ne se fait alors pas sans les « anonymes » car ceux-ci sont sommés de faire des choix.