Ouvrir les frontières ?

Faut-il ouvrir les frontières ? La question est au centre d'intenses débats en France... comme dans les autres pays européens.

En quelques années, les termes du débat autour de l'immigration ont sensiblement évolué : à la question de savoir s'il faut fermer les frontières (thème de l'immigration zéro) a fait place - ou plutôt s'est ajoutée - une autre question : et s'il ne valait pas mieux ouvrir les frontières ? En faveur de cette thèse, plusieurs constats : le vieillissement de la population française et les risques de pénurie de main-d'oeuvre qui en résultent ; les difficultés à contrôler les frontières dont témoigne l'existence en nombre d'immigrés illégaux sur le territoire national ; mais aussi l'émergence de nouvelles catégories d'immigrés qui aspirent à aller et venir entre leur pays d'origine et leur pays d'accueil et qui, faute d'avoir la certitude de pouvoir obtenir un nouveau visa pour celui-ci, tendent à s'établir durablement sur le territoire national. Ajoutons des considérations morales : la patrie des droits de l'homme peut-elle se montrer inhospitalière à l'égard des demandeurs d'asile et des réfugiés de pays en conflit ?

Idées reçues sur l'immigration

Récemment, François Héran, actuel directeur de l'Institut national d'études démographiques (Ined), a versé de nouvelles pièces au dossier 1. Chiffres à l'appui, il bouscule plusieurs idées reçues relatives aux flux migratoires non sans mettre du même coup en évidence des singularités françaises par rapport aux autres pays européens.

- La France est un « pays d'immigration massive ». Cela a été vrai par le passé mais ne l'est plus depuis vingt-cinq ans (par suite de l'arrêt de l'immigration de travail de 1974). Au point que la France est devenue le pays européen dont la croissance démographique dépend le moins de l'immigration. Positif, le solde migratoire (écart entre les entrées et les sorties) n'y est en effet que de 65 000 contre 200 000 pour l'excédent naissances-décès. Et F. Héran de s'étonner : cette réalité a beau être établie de longue date par l'Insee et l'Eurostat, c'est l'image d'une France assaillie par des vagues d'immigration qui continue à primer chez une fraction non négligeable de l'électorat. Non que la pression aux frontières soit un mythe, mais elle est sans commune mesure avec celle à laquelle l'Allemagne a dû faire face depuis l'effondrement de l'ex-Urss et le conflit en ex-Yougoslavie.

- Le taux de fécondité de la France serait dû aux familles immigrées. Rien n'est moins sûr même à changer la méthode de calcul de l'Insee (qui ne compte pas comme immigrés les enfants d'immigrés nés sur le sol français). D'abord, parce que les autres pays européens adoptent la même méthode. Ensuite parce que l'écart entre la fécondité des immigrées et des Françaises natives est inférieur aux chiffres qui circulent ordinairement. Au cours des années 90, le nombre moyen d'enfants par femme était de 1,72 en France métropolitaine pour l'ensemble des femmes contre 1,65 pour les seules femmes nées en France. Et F. Héran d'invoquer un décalage temporel pour expliquer l'impression contraire du commun des mortels : les jeunes issus de l'immigration sont certes visibles sur l'espace public mais ils sont nés il y a plus de quinze ans dans le cadre d'un régime de fécondité révolu.

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- L'immigration irrégulière est « innombrable ». Si par définition cette immigration n'est pas quantifiable, on peut néanmoins l'évaluer à la lumière des demandes enregistrées lors des opérations de régularisation effectuées périodiquement dans les pays européens. Or, en France, la dernière opération de régularisation, intervenue en 1997-1998, a concerné 130 000 personnes. Un chiffre non négligeable mais qui correspond au cumul d'une dizaine d'années de flux irréguliers, soit une moyenne annuelle de 13 000 entrées illégales. Cette proportion est nettement inférieure aux chiffres enregistrés lors des opérations de régularisation menées en Espagne, en Italie et en Grèce au cours de ces dernières années.