S’exprimer en public s’apprend, comme on apprend l’art de la cuisine ou la pâtisserie, comme on apprend encore à jouer d’un instrument de musique ou à conduire une voiture.
Il suffit de quelques heures de travail pour en maîtriser les fondamentaux. Comme pour les autres arts reposant sur la maîtrise de techniques, il faut commencer par faire ses gammes.
Des chemins musculaires et nerveux
L’art de la parole est en premier lieu une activité physique de la même famille que les arts de la scène, la danse, le chant, la comédie. Il partage les mêmes fondations que des pratiques aussi diverses que le yoga, les arts martiaux et la plupart des sports. Les gammes consistent à s’approprier (ou redéfricher) des chemins musculaires et nerveux afin qu’ils deviennent réflexes et qu’on n’ait plus à y penser lorsqu’on parle devant les autres. C’est pourquoi la maîtrise de l’oral est bien plus ouverte socialement qu’on le croit. Il existe par exemple des formations qui permettent à des jeunes décrocheurs scolaires d’acquérir les bases de l’expression orale en quelques heures.
Si l’on relit minutieusement les auteurs de l’Antiquité, on s’aperçoit ainsi que les plus grands orateurs ne le sont devenus que par un entraînement du corps, de la respiration, de la voix. Lorsque Démosthène (4e siècle av. J.C.) se risque à son premier discours devant un grand public, il revient chez lui en pleurant. La moitié de son auditoire, des commerçants athéniens, des artisans, des pêcheurs lui tournent le dos quand ils ne se moquent pas ouvertement de lui. Averti de sa déconvenue, un ami comédien le réconforte et propose de lui enseigner les techniques qui lui font défaut. Celles de base sont les mêmes que celles de l’acteur, déclare-t-il. Et c’est ainsi que celui qui allait devenir le plus grand orateur de l’Antiquité, qui a inspiré les modèles de l’art oratoire depuis plus de deux millénaires se concentre sur des exercices physiques. Il a le souffle court et, selon certaines sources, bégaye : qu’à cela ne tienne, il déclame des tirades et des vers en courant et en remontant des pentes, avec dans la bouche des gravillons qu’il a recueillis au bord de la rivière. Son épaule se relève mécaniquement quand il parle en public – signe de nervosité que d’autres dans l’histoire ont pu avoir –, il répète ses discours, l’épaule sous une lance suspendue au plafond. De même, Cicéron encore jeune homme constate la médiocrité de ses performances et commence par développer son souffle.