«Penser scientifiquement le monde» Entretien avec François Taddei

À l’heure du numérique, il faut changer les manières d’apprendre ! François Taddei plaide pour un enseignement qui développe la curiosité et la créativité des élèves, tout en les initiant aux exigences de la démarche scientifique.

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> François Taddei

Polytechnicien, biologiste, chercheur à l’Inserm, il a publié Apprendre au 21e siècle, Calmann-Lévy, 2018.


L’apprentissage par l’expérience, le dialogue entre les différents champs du savoir, l’exploration de combinaisons inédites – qu’il s’agisse de comprendre les bactéries, d’inventer des cursus universitaires ou de définir des objets de recherche…, telles sont quelques-unes des causes défendues par François Taddei. Après des études secondaires où il brille plutôt pour ses qualités de joueur d’échecs, F. Taddei sera diplômé de l’École polytechnique, ingénieur des Ponts, des Eaux et Forêts. Une thèse de génétique et plusieurs recherches, notamment sur le virus du sida, le conduisent à l’Inserm où il devient directeur de recherche. En 2003, après avoir obtenu un prix pour la recherche fondamentale (pour ses recherches sur l’évolution et le vieillissement des bactéries), enseigné à l’institut Pasteur et à l’ENS entre autres, il est encouragé par le directeur de l’Inserm à développer les études interdisciplinaires. C’est ainsi qu’il devient un véritable « entrepreneur social », comme il se décrit lui-même et fonde le Centre de recherches interdisciplinaires (encadré ci-dessous).

Très investi sur la scène éducative, F. Taddei plaide pour de profonds changements dans les manières d’enseigner afin de prendre en compte les avancées technologiques et transformations des sociétés actuelles. En 2018, il a remis au gouvernement un rapport intitulé « Pour coconstruire une société apprenante », et a publié, avec Emmanuel Davidenkoff, Apprendre au 21e siècle (2018).

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Dans votre livre, Apprendre au 21e siècle, vous plaidez pour de nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner. En quoi le numérique peut-il faire, comme vous le dites, émerger un nouveau paradigme ?

À partir de Gutenberg, la révolution de l’imprimerie a permis la diminution du coût d’accès à l’information. Des historiens ont montré que ce qui n’était au départ qu’une technologie de la communication a engendré dans les siècles suivants de profonds changements politiques et sociaux. Internet a le même rôle, mais là où il a fallu plusieurs siècles pour opérer ces changements, il suffit aujourd’hui de quelques années.

Le numérique et l’intelligence artificielle nous amènent à réfléchir sur la façon dont on sélectionne les élèves. Si on s’en tient à leur capacité à mémoriser et à calculer, les ordinateurs sont meilleurs que nous. Au lieu de mettre les élèves en compétition sur les savoirs d’hier, on pourrait les inviter à collaborer pour réfléchir, à partir des problèmes d’aujourd’hui, à construire les savoirs du monde de demain. Pour cela, il faut initier de nouvelles démarches. Les enfants sont capables dès le plus jeune âge de penser scientifiquement le monde. Comme l’a montré la psychologue Alison Gopnik (chercheure à Berkeley), leur développement cognitif procède du même processus que les scientifiques mettent en œuvre pour faire progresser le savoir. Je plaide pour développer ce potentiel de chercheur qui est en nous. À l’heure actuelle, on constate que des enfants toujours plus jeunes publient des articles dans des revues scientifiques. L’histoire des sciences est d’ailleurs pleine de découvreurs précoces. Évariste Galois, mort dans un duel à 20 ans (1832), a donné son nom à une branche des mathématiques toujours féconde aujourd’hui. Le grand psychologue Jean Piaget a publié son premier article scientifique à 11 ans. En 2013, un jeune Français de 15 ans a cosigné un article avec son père, l’astrophysicien Rodrigo Ibata, dans la revue Nature, à propos d’une question sur les galaxies naines irrésolue jusque-là.