L’éducation aux images constitue une sorte de tarte à la crème des enseignements depuis des années. Cette question est pourtant liée à une autre qui la détermine : doit-on éduquer aux images ? Posée ainsi, la réponse semble évidente : oui, éduquer aux images est devenu prioritaire, car elles ont pris une place déterminante dans notre nouvelle culture visuelle à l’ère de l’écran généralisé. Mais comment ?
Comprendre le territoire : le visuel proliférant
La puissance des images et leur circulation planétaire sous forme d’objets et de représentations diverses sont consubstantielles des activités humaines, provoquant même des mouvements iconoclastes. Ce qui a changé est double : d’une part, la multiplication industrielle des images ; d’autre part, leur cumul et leur circulation planétaire exponentielle avec Internet 1.
La multiplication industrielle des images est apparue au milieu du 19e siècle avec l’ère du papier : développement de la presse, des livres illustrés, des affiches, cartes postales, du packaging… Ces images circulent partout sur la planète souvent dans des formats modestes (cartes postales ou packaging). L’apogée est atteint autour de 1900 mais l’ère du papier ne cesse pas quand apparaît l’ère de l’écran avec la phase industrielle du cinéma (grandes salles, longs métrages) préparée par les compagnies françaises avant 1914 (Pathé, Gaumont) et développée avec les studios d’Hollywood qui deviennent prépondérants pendant la Première Guerre mondiale.
Le papier s’adapte alors avec des maquettes « cinématographiques », utilisant les photomontages et des diagonales dynamiques suggérant le mouvement. L’autre leçon qui peut être tirée de ce statut d’images proliférantes est que les images ne sont jamais seules. Elles sont accompagnées de textes ou de mots, de musiques, de sons. Et cet accompagnement influence considérablement l’interprétation que nous pouvons en avoir. Les images sont dépendantes, même les images les plus puissantes et violentes (un charnier) peuvent être détournées de leur sens réel.
Ainsi, la multiplication industrielle des images se révèle inséparable du développement de deux tentatives d’influencer les opinions publiques : la publicité (vendre des produits ou des services) et la propagande (convaincre en faveur d’idées et/ou de personnes). Pour la publicité, la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle est un moment de basculement avec une circulation planétaire de produits industriels. Pour la propagande, c’est la Première Guerre mondiale qui met en place des mécanismes que reprendront les partis politiques ou les États (agit-prop en URSS, fascisme italien…).
L’étape suivante est l’ère de l’écran avec une télévision qui passe de spectacle collectif au début dans les années 1950 (vitrines des magasins ou immeuble ou salles municipales…) à un programme en direct à la maison devenant même segmenté par pièce et utilisatrice ou utilisateur. Le monde en direct et en continu, dans des programmes se déroulant sans fin, voilà l’illusion de cette « société du spectacle » suivant l’expression de Guy Debord en 1967 : l’illusion de vivre collectivement des événements en direct.