Pas moins de 459 nouveaux romans. À l’occasion de la rentrée littéraire, les écrivains, réputés ou primoromanciers, attirent plus que jamais l’attention des médias. Leurs voix se font entendre sur les ondes aux heures de grande écoute. Interviews, recensions et photos flatteuses emplissent les pages des magazines. On aurait tort pourtant de les prendre, tous et toutes, pour des stars. La réalité est généralement moins brillante, ou du moins plus contrastée. Témoins, deux récits autobiographiques récents qui portent, plus ou moins directement, sur le statut d’écrivain en France. Et qui apportent des éclairages radicalement différents, voire contradictoires.
Écrivain et travailleur de force
À lire Monique s’évade d’Édouard Louis (Seuil, 2024), la situation de l’écrivain paraît triomphale. Grâce à son activité littéraire, l’auteur-narrateur a pu franchir les frontières de classe. Auteur de best-sellers traduits dans une trentaine de langues, l’enfant d’une famille pauvre du Nord désindustrialisé vit désormais dans un appartement parisien où il consacre ses journées à l’écriture, quand il n’est pas invité à donner des conférences à l’étranger. Mieux encore, et c’est là le sujet du livre, il est en mesure d’aider sa mère, maltraitée par son nouveau compagnon. Ce qui retient notre attention ici, c’est le portrait de l’écrivain en parangon de la réussite sociale. Voilà qui fait écho dans l’imaginaire français où persiste au 21e siècle une figure balzacienne, comme le rêve d’un Rubempré 1 qui aurait déjoué l’échec. Quoique la réalité éditoriale vienne, de temps en temps, y apporter quelque crédit, c’est une figure largement mythologique.
Car si Édouard Louis a pu accéder par sa plume à un certain confort bourgeois, il n’est nullement représentatif de ce que vivent concrètement l’écrasante majorité des auteurs de littérature en France. Ancien photographe (notamment pour Libération, Les Inrocks), Franck Courtès en apporte la preuve dans son dernier récit autobiographique, À pied d’œuvre (Gallimard, 2023). Éditeur ultraconvoité, prix de la Société des gens de lettres (SGDL), passages à l’émission La Grande Librairie (France 5)…, l’auteur semble cocher toutes les cases de la réussite. Toutes, sauf une, cruciale, celle de la rémunération. Alors qu’il empochait chaque mois « deux ou trois smic » pour ses photoreportages, Franck Courtès « paie cher » sa nouvelle vocation littéraire, raconte-t-il depuis le studio maternel mal chauffé où il a trouvé refuge. Son premier titre 2 a conquis autour de 5 000 lecteurs, un petit succès qui l’encourage à poursuivre, mais ne permet pas de vivre. Quelques chiffres : à 10 % de droits d’auteur sur un ouvrage vendu 20 euros (on simplifie), Franck Courtès aura perçu pour ce premier livre quelque 10 000 euros. Somme coquette s’il s’agit d’arrondir des fins de mois déjà assurées, mais dérisoire en tant que telle, surtout à Paris. Comment consacrer chaque matinée à son œuvre ? Pour subsister, c’est-à-dire payer sa nourriture discount, ses produits d’hygiène, un minimum d’électricité et un forfait téléphonique, l’écrivain se mue chaque après-midi en travailleur de force, prêt à transporter des sacs de gravats, monter des étagères ou tondre la pelouse. Son tarif : vingt ou trente euros la demi-journée. Alors qu’Édouard Louis campe un personnage de transfuge de classe en fulgurante ascension, Franck Courtès se pose, lui, en déclassé. La symétrie est frappante : alors qu’Édouard Louis écrit sur le secours décisif qu’il est en mesure d’apporter à sa mère, Franck Courtès souffre de ne pas pouvoir aider financièrement ses fils adolescents. Quoiqu’extrême, la situation évoquée dans À pied d’œuvre illustre l’ambivalence du statut de l’écrivain contemporain, doté par sa plume d’un capital symbolique considérable, mais le plus souvent d’un capital économique médiocre ou faible.