Les animaux sont intelligents... mais manquent d'imagination

Primates, rats, oiseaux ou poulpes sont des êtres sensibles, conscients, intelligents, communicatifs, joueurs, rusés… Mais par rapport aux humains, ils manquent singulièrement d’imagination !

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Pas un jour ne passe sans que paraisse une étude, un documentaire ou un nouveau livre sur l’intelligence animale. Nous venons par exemple de découvrir que la méduse est capable d’apprendre de ses expériences 1. Étonnant pour un animal qui n’a pas de cerveau ! L’expérience qui le prouve consiste à projeter sur les parois d’un aquarium des bandes de lumière et d’ombres similaires aux formes des mangroves que les méduses rencontrent dans le milieu naturel. Mais après s’être heurtée plusieurs fois aux parois, la petite « méduse-boîte » évite de s’en approcher : elle a tiré la leçon de son expérience.

Mais comment la méduse voit-elle où elle va ? Aussi curieux que cela puisse paraître, certaines méduses – bien que sans cerveau – ont des yeux ! La « méduse-boîte » en a même 24 paires ! Ce sont des tapissés de cellules photosensibles qui les aident à détecter des formes.

Dans un récent essai, le biophysicien François Bill nous en apprend un peu plus sur les yeux des animaux marins 2. La tortue possède un « troisième œil », vestige d’un œil ancestral situé sur le crâne et dont étaient dotés nombre d’animaux anciens. L’œil du poulpe (très proche de celui des humains) est très sophistiqué : il dispose d’un stabilisateur interne qui fait pivoter l’image quand l’animal à la tête en bas, exactement comme l’écran de votre téléphone qui bascule dans on le retourne. Quel génie !

Ils perçoivent, apprennent, raisonnent !

La palette perceptive dans le monde animal est beaucoup plus variée et étendue 3 que celle de nos pauvres cinq sens (en réalité nous en avons sept). Les requins ou les raies sont doués de cellules électro-réceptrices pour repérer leurs proies ; les serpents ressentent la chaleur corporelle à distance grâce à des cellules thermo-détectrices ; les oiseaux migrateurs disposent d’une sorte de GPS interne (la magnétoréception) utile pour les longues migrations. Quant au sonar (écholocation) de la chauve-souris, il permet d’évoluer avec aisance dans l’obscurité la plus complète. Ce qui vaut pour la perception vaut aussi pour l’intelligence, la conscience ou la communication. Il est clairement établi aujourd’hui que la cognition est présente dans le monde animal sous différentes formes. Autant d’espèces, autant de formes de perception, de communication et d’intelligence du monde 4.

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Mais à force d’applaudir les performances de la méduse ou du poulpe, les pistes finissent par se brouiller. Comment définir l’intelligence si le mot renvoie aussi bien au poulpe ouvrant un bocal qu’aux humains qui ont fabriqué ce bocal ?

Pour comprendre comment l’intelligence animale est devenue un sujet d’étude si foisonnant, il faut remonter à un demi-siècle en arrière. Au début des années 1960, les animaux – rats, pigeons ou singes – sont très présents dans les laboratoires de psychologie. Ils sont les cobayes favoris des psychologues. Ivan Pavlov fait saliver les chiens au son d’une sonnerie quand ses confrères observent l’itinéraire des rats dans un labyrinthe. Ces chercheurs se situent tous dans le courant comportementaliste (behaviouriste) qui règne en maître en psychologie depuis le début du 20e siècle. Ce qui les intéresse n’est pas tant l’intelligence que la capacité d’apprentissage. Selon eux, l’aptitude à apprendre se distribue selon une échelle. Tout en bas, les animaux inférieurs (vers, insectes et reptiles) sont régis par leur instinct. Chez les animaux supérieurs, l’instinct reste dominant, l’apprentissage limité. Chez l’humain enfin, l’instinct a disparu : l’apprentissage est tout. Les humains se distinguent donc des autres animaux par l’étendue de leur capacité d’apprentissage.

Les regards changent à partir des années 1960. Dans les laboratoires, certains animaux se révèlent plus malins que prévu. Un chat enfermé dans une cage parvient à se libérer après avoir observé le chercheur manipuler le loquet. Son comportement est donc loin de se réduire à un réflexe conditionné. Il observe, expérimente, cherche une solution.

D’autres études marquent les esprits. Dès 1948, le psychologue Edward Tolman montre que les rats ne se contentent pas de suivre les mêmes trajets pour se déplacer mais possèdent une « représentation mentale » de leur territoire. Une autre expérience ébranle les convictions. Il était admis jusque-là que la « conscience de soi » était le propre de l’être humain. Elle apparaît, pensait-t-on, vers l’âge de 18 mois au moment où le petit enfant comprend que l’image dans le miroir est sa propre image. Or une expérience ingénieuse menée par Gordon Gallup dans les années 1970 montre qu’un chimpanzé est tout aussi capable de réussir le test du miroir.

Dès 1960, une frontière supposée entre « l’homme et l’animal » est également remise en cause : l’usage des outils. Jane Goodall observe que les chimpanzés de Tanzanie utilisent des pierres pour casser des noix. Elle les a vus aussi effeuiller des branches et s’en servir pour pêcher des insectes à l’intérieur d’une fourmilière. Dans les décennies suivantes, les découvertes s’enchaînent. La psychologie cognitive s’interroge sur la façon dont les animaux (et les humains) traitent l’information. Les animaux ont-ils des catégories mentales stables qui permettent d’organiser le monde ? Un pigeon, par exemple, fait-il la distinction entre un comparse et un moineau ? Sait-il identifier un chat indépendamment de sa taille ou de sa couleur ? Des expériences ingénieuses vont montrer que c’est bien le cas. Mieux : les pigeons savent parfaitement distinguer des formes abstraites – un L ou un T – quelle que soit leur couleur ou leur orientation dans l’espace. John Locke pensait que « les animaux n’abstraient point ». Il avait donc tort.