L'argent ne fait pas le bonheur, mais sa perte fait le malheur

L’Économie du bonheur. La croissance rend-elle les individus heureux ?, Claudia Senik, Institut Diderot, 72 p., 2024. (en ligne sur le site de l’Institut).

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La croissance économique rend-elle heureux ? À une époque où elle est de plus en plus remise en question au nom de la protection de la planète, la question est importante. Mais comment mesurer le bonheur ? Comme l’explique l’économiste Claudia Senik dans ce petit essai, une des méthodes consiste à demander aux citoyens de différents pays d’évaluer, sur une échelle de 0 à 10, leur niveau de satisfaction dans la vie. On pourrait s’attendre à des réponses très erratiques et subjectives. Pourtant, les économistes constatent qu’elles sont relativement consistantes avec la situation des répondants. Il semblerait donc qu’on obtienne des indications objectives sur le bonheur.

De ces enquêtes, on retient souvent deux résultats importants. Le premier est que les personnes qui gagnent plus d’argent ont tendance à se déclarer plus heureuses que celles qui en gagnent moins. Ça semble aller de soi. En revanche, le second est plus étonnant. Il suggère que lorsque le niveau de vie d’un pays croît, au-delà d’un certain seuil, le bonheur moyen perçu n’augmente pas. Comment est-ce possible ? C’est ce qu’on appelle le « paradoxe d’Easterlin », du nom de son découvreur. L’explication serait que l’habitude nous ferait perdre de vue qu’après un enrichissement, nous vivons dans de meilleures conditions.

Faut-il en déduire que la croissance ne fait pas le bonheur ? Pas nécessairement, car si l’habitude nous fait oublier que notre vie est plus confortable, cet oubli ne signifie pas que cette amélioration soit sans valeur. Et surtout le constat d’Easterlin n’implique pas qu’on serait aussi heureux si nos revenus baissaient. Comme le souligne l’autrice, se projeter dans un avenir économique meilleur est une composante importante du bonheur. Il est donc loin d’être acquis, comme le prétendent souvent ses promoteurs, que la décroissance nous permettrait de maintenir notre niveau de satisfaction dans la vie.