Troubles du langage, un traitement inégal

Si l’origine neurobiologique des troubles dys est bien établie, le rôle des facteurs sociaux et des inégalités dans les trajectoires individuelles reste mal connu.

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Difficultés sévères à lire, à écrire, à s’exprimer ou encore à compter… Environ un écolier sur vingt présente des troubles spécifiques des apprentissages, selon l’Inserm. Il ne s’agit pas seulement de problèmes pouvant être mis sur le seul compte du parcours de l’enfant, du contexte familial ou encore des inégalités sociales : « On observe une proportion significative de retards qui surviennent en dépit de conditions d’éducation favorables : ce sont les troubles dys », signale Michèle Mazeau, médecin rééducatrice et auteure d’ouvrages de référence sur le sujet 1. Quel que soit le milieu social, 1 % des enfants seraient notamment atteints de trouble d’acquisition du langage oral (dysphasie), et 5 % de troubles d’acquisition du langage écrit (dyslexie/dysorthographie). Certaines de ces difficultés pourraient être dues à des anomalies cognitives héréditaires, parfois visibles par imagerie cérébrale 2 : par exemple, un développement atypique des aires langagières dans la dysphasie. Néanmoins, même lorsque le problème est d’origine physiologique, ses effets peuvent être aggravés, ou au contraire atténués par des facteurs environnementaux tels qu’un repérage précoce, une prise en charge adaptée, ou des attitudes éducatives favorisant le développement du langage. « L’environnement familial peut influer sur la manifestation des troubles neurodéveloppementaux, confirme Audrey Mazur Palandre, ingénieure de recherche en cognition du langage à l’université de Lyon. On sait par exemple que lire précocement des histoires aux enfants développe leur conscience phonologique, qu’ils soient dys ou non. »

Des enfants plus ou moins bien repérés

Le repérage par les parents d’enfants souffrant de troubles dys diffère selon les milieux sociaux par exemple. Les classes populaires ont notamment plus de réticence à l’égard des diagnostics médico-psychologiques, rappelle Marianne Woollven, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Clermont-Auvergne : « Il y a souvent la crainte de voir son enfant étiqueté “malade” ou que le diagnostic soit utilisé pour l’exclure d’une scolarité ordinaire. » « Pour les enfants de milieu précaire, renchérit M. Mazeau, les retards d’acquisition sont mis sur le compte de leurs conditions de vie difficiles. À l’inverse, quand les parents issus des catégories supérieures remarquent que leur enfant ne parle pas bien ou peine à apprendre à lire, ils vont immédiatement consulter. » Cette attitude proactive expliquerait pourquoi, comme l’a montré Sandrine Garcia, professeur de sociologie à l’université de Bourgogne 3, on observe une nette sous-représentation des parents de catégories populaires dans les enquêtes sur les troubles dys, au profit des parents de classe moyenne ; notamment ceux travaillant dans le secteur médical ou paramédical, plus familiers des démarches diagnostiques, ainsi que les enseignants, davantage confiants à l’égard de l’école. Beaucoup espèrent aussi que le diagnostic protégera leur enfant d’autres étiquettes plus stigmatisantes : « Face à l’échec scolaire, explique S. Garcia, les parents qui ont des ressources vont s’appuyer sur des experts, quitte à multiplier les bilans, pour prouver aux enseignants que c’est un trouble dys qui est à l’origine des difficultés de leur enfant et non un manque d’intelligence ou de travail. »