Photographie : les voies de la reconnaissance

Loin de n'être qu'une technique de reproduction du réel, la photographie a depuis ses débuts aspiré à devenir une oeuvre d'art. Mais cette reconnaissance n'a pu être obtenue qu'en se pliant aux règles du marché des beaux-arts.

Y a-t-il eu d'autres tentatives après celle-ci et quels ont été leurs rapports avec le mouvement de l'art ?

Sciences Humaines : La photographie a-t-elle eu beaucoup de mal à se faire reconnaître comme un art ? Etait-ce faute d'ambition esthétique ?

Françoise Denoyelle : En réalité, la recherche d'une expression artistique s'est manifestée chez les photographes dès les débuts de cette technique. Mais elle a emprunté des voies assez différentes selon les époques, et surtout, a mis très longtemps à être reconnue et à se créer un marché qui ressemble à celui des oeuvres d'art. La première période de la photo, qui va de 1839 à 1890, est, il est vrai, dominée par les soucis techniques. Différents procédés sont inventés, le daguerréotype, le calotype, le collodion humide, le gélatinobromure, essentiellement pour répondre à un besoin spécifique : celui du portrait, qui représente 90 % de la production photographique de l'époque. Certains portraitistes réputés ont une démarche d'artistes : Nadar attire chez lui des hommes de lettres, des peintres et des musiciens pour les portraiturer. Mais d'autres sont simplement des mondains : Reutlinger, qui a un studio aussi célèbre que celui de Nadar, est un admirateur de Napoléon III et il photographie la cour et les milieux huppés. Le portrait est en réalité une industrie de masse qui s'inscrit dans une économie de marché : les grands studios parisiens adoptent une stratégie industrielle, avec actionnaires, division des tâches, publicité, services de commercialisation, procédés de reproduction multiple, etc. Dans leur majorité, les photographes font de la « carte de visite » (format courant de portrait). Même si certains d'entre eux écrivent des traités « d'art photographique », il n'y est en fait question que de technique, très peu d'esthétique. Quant à la première grande exposition de daguerréotypes, qui a lieu en 1844, elle a pour cadre le Salon de l'industrie française...

Toutefois, la recherche d'une expression artistique existait déjà : quelques photographes, comme Hippolyte Bayard, composaient de véritables mises en scènes photographiques. Autour de lui se développe un cercle de calotypistes, qui est à la recherche d'une position dans le champ de l'art. Ses membres s'inspirent beaucoup de la peinture, et notamment de la nature morte, mais ils créent un style proprement photographique. Leurs oeuvres sont exposées à la Society of Arts de Londres en 1852, et à la Société française de photographie de Paris en 1855. Mais ce sont des marginaux : ils n'ont ni public, ni marché, ni véritable reconnaissance. Aux yeux du monde l'art, la photographie n'est qu'un procédé mécanique. La main de l'artiste n'est pas directement en jeu, comme dans la peinture, la sculpture et la gravure. Donc, cela n'est pas vraiment de l'art, et l'idée même que la photo puisse le devenir un jour suscite, à cette époque, une polémique assez vive. Pour l'essentiel, la photo de portrait est un artisanat qui tend à se rapprocher de l'industrie, et donne lieu à un commerce lucratif.