1- Les détracteurs de la « pensée unique »
Mots d'ordre : Rompre avec la politique de rigueur économique menée depuis les années 80 (politique du franc fort), privilégier la lutte contre les inégalités sociales et l'exclusion, réduire le temps de travail...
Représentants : Hoang Ngoc Liêm, maître
de conférences à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Auteur de La Facture sociale (voir ci-après) et de Salaires et emploi, une critique
de la pensée unique (Syros, 1995), il anime la revue Pétition (trimestrielle) ; Henri Guaino (ex-commissaire au Plan)...
Les adversaires désignés : la Fondation Saint-Simon (Daniel Cohen, Alain Minc...).
Manifeste : l'Appel des économistes pour sortir de la pensée unique, lancé en 1995.
« Loin d'avoir engendré une homogénéisation autour d'une classe moyenne (...) [notre société] est donc, plus que jamais, une société de classe où, loin de s'être atténuées, les inégalités se sont creusées. Le fossé s'est agrandi entre les revenus salariaux et ceux du patrimoine, entre la part des salaires et celle des profits dans la valeur ajoutée (...). Pire, la reproduction sociale continue de jouer à plein : la mobilité inter-générationnelle entre les classes sociales ne s'est pas améliorée ». Tel est le diagnostic alarmiste que Hoang Ngoc Liêm dresse de la société française. Le responsable est tout désigné : il s'agit du « libéralisme social » qui inspire la politique économique menée par la plupart des pays industrialisés à commencer par la France et l'Allemagne depuis les années 80. Le libéralisme social ? Un croisement curieux entre les thèses néoclassiques favorables à l'économie de marché et la social-démocratie. Sur le plan de la politique économique, il consiste à privilégier la lutte contre l'inflation par la maîtrise des coûts de production et la déréglementation sur la lutte contre le chômage, en maintenant un minimum de protection sociale. A l'heure de la mondialisation, une alternative à une telle politique est-elle seulement possible ? Oui, répond Hoang Ngoc. Elle est non seulement envisageable mais elle a déjà été esquissée dans les pays pourtant traditionnellement considérés comme les foyers de l'ultralibéralisme : les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ! Revenant dans le détail sur les politiques menées dans ces pays depuis la fin des années 70, Hoang Ngoc rappelle que Reagan et Thatcher ont été tour à tour contraints d'opérer un tournant (en 85 pour les Etats-Unis, en 87 pour le Royaume-Uni). Après l'échec des politiques d'inspiration monétariste, ces pays n'ont pas hésité à user de la dévaluation compétitive et du déficit public pour relancer leur économie, non sans une certaine réussite. Reste la question des inégalités...
L'« autre politique » que prône Hoang Ngoc a une tout autre ambition. Sur le plan théorique, elle procède d'une synthèse originale entre le keynésianisme et le marxisme. Du premier, il retient non seulement la défense et l'illustration de la politique de relance mais encore et surtout l'idée d'incertitude. Keynes fut le premier, rappelle-t-il, a avoir souligné l'incertitude dans laquelle opèrent les agents économiques. Dans ce contexte, seule une « main visible » - celle de l'Etat - peut parvenir à coordonner efficacement l'offre et la demande. S'agissant de Marx, Hoang Ngoc souligne l'actualité de son analyse en termes de luttes des classes. De ce dialogue entre Keynes et Marx, il tire les arguments en faveur d'une réhabilitation du rôle du politique dans la redistribution des fruits de la croissance. Parmi les formes que celle-ci pourrait revêtir, il retient la diminution du temps de travail et diverses réformes fiscales visant notamment à privilégier les entreprises les plus créatrices d'emplois. Reste que les économies nationales sont interdépendantes. Si une politique de relance et de redistribution est menée, c'est à une échelle supranationale qu'elle doit être envisagée, en l'occurrence pour un pays comme la France, à l'échelle de l'Europe. Tout en dénonçant le maintien des critères de Maastricht, Hoang Ngoc suggère la définition d'une politique de relance concertée entre les Etats membres.