Changer tout. Vite dit, mais pas vite fait… Lorsque la contrainte et la menace sont exclues, comme cela devrait être le cas en démocratie, même les projets a priori les plus bénéfiques à la collectivité peuvent se heurter à des obstacles pendant de longues années, voire ne jamais aboutir. Penchons-nous donc sur ces changements proposés « pour le bien de tous » et avec la participation de tous : on les appellera « coopératifs » pour les distinguer d’un autre genre de changements (dits « compétitifs ») tournés vers la réussite d’un seul acteur, individu ou groupe. Pourquoi sont-ils si laborieux à faire aboutir ? Quels sont les obstacles ? Voyons ce qu’en disent psychologues et économistes.
Premier obstacle : « l’aversion à la perte »
Il y a un biais cognitif que les psychologues appellent aversion à la perte. Exemple type : les conséquences négatives du réchauffement de notre planète sont difficilement mesurables pour chacun de nous. En revanche, les efforts que nous aurons à fournir, les commodités auxquelles il nous faudra renoncer (l’automobile, les voyages en avion, etc.) semblent plus concrets et figurent au registre des pertes. Or, les psychologues ont découvert que l’être humain ressent plus chèrement la perte d’un bien acquis que l’effort nécessaire à son acquisition. Ce qui veut dire que même si je vous offrais le juste prix de votre voiture à condition que vous passiez à la bicyclette, il y a peu de chances que vous acceptiez. À moins que, et c’est là qu’entre en jeu l’art de la communication, je vous fasse miroiter la perspective d’un gain supplémentaire : par exemple, que la bicyclette, c’est la santé garantie. Ou, tout simplement, que c’est jeune et moderne. Inversement, un partisan de la résistance au changement pourra exploiter la maximisation de la perte : certains politiques américains hostiles à tout traité de limitation des émissions de gaz polluants ont invoqué la « ruine du mode de vie américain ». Rien que cela. Cette façon d’aborder les faits sous l’angle du gain ou de la perte est un des enjeux cruciaux de tout projet de changement. Les psychologues appellent « framing » la manière de présenter ses enjeux, et lui accordent un grand poids : lors de la signature du traité européo-canadien de libre-échange (Ceta), on a vu les experts se répandre en évaluations positives ou négatives sur les gains et les pertes respectives de chacun des partenaires.