« Tenter de prouver qu’il existait, au temps où les artistes paléolithiques ornaient les cavernes, un grand mythe fondateur qui éclaire leur œuvre. » Tel est l’objectif ambitieux de ce livre novateur. Jean-Loïc Le Quellec, grand connaisseur des mythes, devait un jour se confronter à cette question : celle de la recherche d’un récit primordial qui accompagnerait Homo sapiens depuis sa sortie d’Afrique, il y a au moins 150 000 ans. Mais pour cela, il fallait d’abord évacuer les impasses qui encombrent les études sur l’art paléolithique, traquer les raisonnements circulaires, les fausses évidences et les biais de confirmation – bref, nettoyer les écuries d’Augias. J.L. Le Quellec avait déjà « sévi » dans l’art rupestre holocène (d’après l’époque glaciaire), sa spécialité d’origine. Avec la candeur du profane, détaché des écoles et des soucis diplomatiques, il applique ici avec rigueur la méthode qu’il a mise au point : mélange d’une sévère critique des sources, d’une observation minutieuse des documents et d’une impressionnante érudition. Tout ceci exige de l’espace et on ne peut que saluer les éditions La Découverte pour l’avoir permis. Souvent, les spécialistes (l’auteur de ces lignes s’inclut dans le lot), une fois leur étude achevée, se contentent, en conclusion, de quelques lignes sur la signification de l’art des cavernes. « Sanctuaire », « sacré », « religion », « symbolisme » : autant de notions mal définies, dont J.L. Le Quellec reprend la généalogie, et montre à quel point leur emploi est précaire, signe d’un ethnocentrisme mal assumé. Nombre de cultures humaines n’ont simplement aucun mot équivalent pour les désigner. Quant au chamanisme tel que nous le connaissons, il n’apparaîtrait qu’à l’âge du bronze. Statisticien hors pair, il a patiemment incorporé les données issues des 452 grottes ornées actuellement connues, afin d’en avoir une vision globale. Que ce soient les empreintes de mains, les représentations animales ou humaines, les organes sexuels, les « chimères » et les théranthropes, rien n’échappe à son examen : pour lui, l’art paléolithique, durant les 36 000 ans de son existence, fait preuve d’une grande unité, témoignant d’un « vieux fonds culturel commun ». Puis il passe en revue les diverses théories en vigueur, les plus argumentées comme les plus farfelues, montrant qu’elles sont parfois plausibles, mais non démontrées. Et surtout qu’à chaque fois, selon lui, elles manquent d’expliquer l’essentiel : pourquoi aller peindre dans les grottes, pénétrer dans leurs galeries obscures, au péril de sa vie ? Il est probable que les œuvres pariétales sont l’expression d’un mythe, mais lequel ? « Si les images pariétales étaient associées à un ou plusieurs mythes au sens propre du terme (du grec ancien “mŷthos”, “récits”), alors ces narrations ne pouvaient être sans liens avec l’ontologie prévalant dans la société des conteurs et, par transitivité, ces images ne pouvaient non plus l’être. »