Qu'est devenue la philosophie analytique ? Trois questions à Pascal Engel

La philosophie analytique (PA) s’était donné comme but de mettre fin à la métaphysique entendue comme une spéculation qui tourne à vide. Elle visait à « clarifier la pensée ». Or, un siècle plus tard, elle semble être retombée dans un puits sans fond de débats qui ressemblent fort à la scolastique d’antan…

Pour comprendre où en est aujourd’hui la PA, il faut remonter à ses origines historiques. Au départ, il s’agit d’une critique de la métaphysique moniste hégélienne, mais au nom d’une autre métaphysique, atomiste et pluraliste : en Grande-Bretagne, Bertrand Russell et George E. Moore s’en prennent aux hégéliens comme Francis Bradley et John McTaggart. Un autre courant se développe en Autriche et en Allemagne, en réaction aux postkantiens : Franz Brentano et Gottlob Frege en sont les représentants les plus célèbres. Leur but est un projet de refondation de la science (notamment des mathématiques) sur des bases logiques, mais aussi ontologiques.

La deuxième phase survient avec le Tractatus de Ludwig Wittgenstein et les positivistes logiques. Le but de la philosophie n’est plus de refonder la science, mais de clarifier la pensée par la réforme logique du langage et de reconstruire « le langage de la science ». Rudolf Carnap distingue les « questions internes » à la science (les seules légitimes) et les « questions externes » (qui ne la concernent pas comme celle des universaux ou de la nature ultime de la réalité).

Après la Seconde Guerre mondiale, le « deuxième Wittgenstein » développe une analyse critique du langage ordinaire (John Austin, Peter Strawson, et l’école d’Oxford) et l’idéal d’une réforme logique de la philosophie cède la place à ce que P. Strawson a appelé une métaphysique « descriptive », en fait une analyse conceptuelle à partir du langage naturel. Le ton demeurait kantien : il s’agissait de donner des limites au langage et à la pensée, et la métaphysique au sens spéculatif était rejetée.