La présence sur les stèles funéraires romaines de louanges adressées par les époux à leurs défuntes femmes ne doit pas faire illusion. Ces maris n’expriment pas un sentiment d’affection, mais reconnaissent que leur épouse ne leur a jamais causé de soucis, qu’ils n’ont pas eu à la corriger et qu’elle leur est restée fidèle. Dans l’Antiquité, l’épouse n’est ni plus ni moins qu’une composante de la maison ; elle doit, comme les esclaves, obéissance au maître. C’est dire que la notion de couple est très éloignée de ce qu’elle recouvre à l’heure actuelle et qu’elle a considérablement évolué au fil du temps. L’histoire de la conjugalité peut être comparée à des couches géologiques superposées s’organisant en grandes strates : après l’ère du mariage est venue l’ère de l’amour, puis l’ère de la sexualité. Ces données, parfois en contradiction les unes avec les autres, se sont empilées pour aboutir à la notion qui nous est familière de deux personnes qui s’aiment et construisent ensemble leur avenir, quel que soit le statut qui les lie : mariage, pacs ou concubinage.
Le couple comme alliance
Longtemps le couple n’a pas eu d’existence en dehors des liens du mariage. Le monde gréco-romain l’envisage sous le seul aspect institutionnel, puisqu’il a pour fonction de donner des citoyens à la cité. Le christianisme change la donne en affirmant l’égalité des sexes, tout en adoptant la morale stoïcienne qui s’impose au iie siècle de notre ère. Cette morale conçoit la sexualité comme une perturbation de la volonté et donc comme un danger, ce que l’Église reprend en l’associant au péché originel. Sur le couple pèse alors le lourd fardeau de l’instinct sexuel, trace de la bête qui sommeille en chaque être humain. Mais, d’un autre côté, les exigences chrétiennes font définitivement advenir le couple, car l’Église parvient à imposer le mariage monogame, consensuel et indissoluble, socle sur lequel se bâtit la conjugalité occidentale. La morale des clercs ne s’impose toutefois que difficilement aux peuples barbares christianisés. Les rois francs sont polygames et divorcent lorsqu’une possibilité d’alliance prestigieuse se présente à eux. Les femmes sont des pièces de prix sur l’échiquier politique et, dans ces conditions, le couple est le signe de l’alliance nouée entre deux seigneurs. Il n’en va pas de même dans la paysannerie ; sans grandes ressources, menant une vie rude, les paysans sont plus volontiers conjugaux, un couple soudé et solidaire étant gage d’une vie meilleure que celle dévolue aux célibataires. Au sommet de l’État, l’affrontement des clercs et des chevaliers à propos de la morale conjugale dure néanmoins près de six cents ans, la législation canonique ne commençant à triompher qu’à partir du xiie siècle. Avec la fin de la polygamie, l’Église impose le mariage pour la vie, mais tient à s’assurer du consentement des fiancés. C’est en théorie la fin des unions forcées et la possibilité pour un couple de s’inscrire dans la durée.
Mais est-ce pour autant l’avènement de l’amour dans le couple ? Rien n’est moins sûr car pour les clercs, seuls érudits du Moyen Âge, la sexualité même exercée dans le cadre du mariage reste suspecte. Par conséquent, c’est en dehors du mariage que se précise l’image du couple amoureux, comme celui formé par Héloïse et Abélard. Les grands mythes, tels celui de Tristan et Iseult, témoignent à la fois de l’intérêt porté à l’affection conjugale et de la méfiance à l’égard de la passion. L’amour ne peut se vivre que de manière clandestine ; il est un sentiment trouble incapable de fonder une relation conjugale véritable.
Il faut toutefois attendre les xve et xvie siècles pour que ces questions suscitent de multiples réflexions de la part des lettrés humanistes. Face à l’essor démographique spectaculaire qui suit les grandes épidémies de peste, ceux-ci dessinent les contours d’une nouvelle morale sociale valorisant le mariage et la famille. Ils incitent les hommes à entrer dans la vie conjugale sans crainte et sans préjugé, afin de sceller une relation privilégiée avec leur épouse. Avec des rythmes différents selon les pays, un effort pédagogique est mené en faveur des époux à qui l’on explique inlassablement leurs devoirs réciproques, leurs devoirs de parents et leurs devoirs de chrétiens.
Du mariage de raison au droit à l’amour…
En France, c’est au milieu du xviie siècle que cet effort est le plus soutenu. Mais si l’institution matrimoniale est désormais acceptée par tous, les critiques ne manquent pas. Elles convergent sur la manière dont les unions sont conclues. Les nobles et les bourgeois, soucieux de conserver ou d’agrandir un patrimoine, recherchent des dots et des noms prestigieux. La quête du sentiment s’oppose à la quête de la richesse et de la notoriété. Cette tension est si perceptible qu’elle est le sujet de prédilection de la littérature. Les pièces de Molière se finissent toujours par un mariage entre deux jeunes gens qui se sont choisis malgré la volonté paternelle. Quelques témoignages de vie disent également combien les mariages d’amour procurent de satisfaction. Un gentilhomme normand, Henri de Campion, évoque dans ses mémoires sa profonde originalité par rapport à son milieu social. Il n’a pas épousé une dot, mais une jeune femme bien éduquée, raisonnable et séduisante.
Les mariages de convenance sont le lot des catégories sociales supérieures, alors que le reste de la population, moins fortunée, jouit d’une plus grande liberté. Pour preuve, l’âge des époux y est sensiblement le même et les mariages sont tardifs, conclus souvent après le décès des parents. Par conséquent, l’épouse n’est plus une jeune fille lorsqu’elle convole. De la même génération que son mari, elle peut lui tenir tête et nouer avec lui un compagnonnage de bon aloi. L’aspiration à trouver l’amour dans le mariage est une revendication majeure du siècle des Lumières. Une affaire retentissante oppose, en 1744, un jeune avocat, Charles de La Bédoyère, à ses parents qui lui reprochent de s’être marié sans leur consentement avec une actrice, mariage indigne de sa condition, prétendent-ils. Le fils argue du fait qu’il aime Agathe, enceinte de ses œuvres, et qu’en homme digne il lui doit protection ainsi qu’à son enfant. Son union est officiellement confirmée par le tribunal qui reconnaît ainsi le droit à l’amour.
De l’illusion romantique à la révolution sexuelle…
Toutefois, les changements politiques de la Révolution ne s’accompagnent pas de la liberté d’aimer, malgré une brève introduction du divorce, qui remet en cause durant une vingtaine d’années la législation canonique. Supprimée à la Restauration, la possibilité de divorcer est rétablie par la loi Naquet en 1884. Certes, beaucoup ont cru qu’avec l’abolition des privilèges, les conjoints se choisiraient librement, mais la société issue de 1789 se crispe sur l’argent, la dot et donc sur les mariages arrangés. De plus, cette société se montre puritaine et misogyne, accentuant la puissance paternelle et reléguant les femmes dans l’espace feutré de leurs intérieurs. La discrimination sexuelle voue la femme à l’intimité, à la maternité et aux taches domestiques. Ce siècle, qui rêve romantiquement à la pureté, cache ses frustrations. Le couple se construit sur un malentendu entre la jeune femme ignorante des choses de la vie et l’homme dominateur. Les médecins prennent alors le relais des prêtres et des confesseurs pour affirmer les finalités du couple, au premier rang desquelles se trouve l’enfant. Ils estiment que seules les maternités apaisent la frénésie sexuelle des femmes et rejettent leur revendication au plaisir. À la fin du xixe siècle se dessine un nouveau couple composé d’une femme plus avertie et d’un homme plus soucieux de sa partenaire, attitude qui se renforce après la Première Guerre mondiale. Si le mariage reste jusqu’aux années 1970 un passage obligé pour qui veut vivre en couple, il ne saurait plus y avoir de mariage sans amour. L’érotisme vient s’ajouter à partir du moment où la « révolution sexuelle » libère les comportements. Amour, sexe et plaisir sont les composantes d’une relation réussie, qui désormais se décline en de multiples variantes…
Le couple comme alliance
Longtemps le couple n’a pas eu d’existence en dehors des liens du mariage. Le monde gréco-romain l’envisage sous le seul aspect institutionnel, puisqu’il a pour fonction de donner des citoyens à la cité. Le christianisme change la donne en affirmant l’égalité des sexes, tout en adoptant la morale stoïcienne qui s’impose au iie siècle de notre ère. Cette morale conçoit la sexualité comme une perturbation de la volonté et donc comme un danger, ce que l’Église reprend en l’associant au péché originel. Sur le couple pèse alors le lourd fardeau de l’instinct sexuel, trace de la bête qui sommeille en chaque être humain. Mais, d’un autre côté, les exigences chrétiennes font définitivement advenir le couple, car l’Église parvient à imposer le mariage monogame, consensuel et indissoluble, socle sur lequel se bâtit la conjugalité occidentale. La morale des clercs ne s’impose toutefois que difficilement aux peuples barbares christianisés. Les rois francs sont polygames et divorcent lorsqu’une possibilité d’alliance prestigieuse se présente à eux. Les femmes sont des pièces de prix sur l’échiquier politique et, dans ces conditions, le couple est le signe de l’alliance nouée entre deux seigneurs. Il n’en va pas de même dans la paysannerie ; sans grandes ressources, menant une vie rude, les paysans sont plus volontiers conjugaux, un couple soudé et solidaire étant gage d’une vie meilleure que celle dévolue aux célibataires. Au sommet de l’État, l’affrontement des clercs et des chevaliers à propos de la morale conjugale dure néanmoins près de six cents ans, la législation canonique ne commençant à triompher qu’à partir du xiie siècle. Avec la fin de la polygamie, l’Église impose le mariage pour la vie, mais tient à s’assurer du consentement des fiancés. C’est en théorie la fin des unions forcées et la possibilité pour un couple de s’inscrire dans la durée.Mais est-ce pour autant l’avènement de l’amour dans le couple ? Rien n’est moins sûr car pour les clercs, seuls érudits du Moyen Âge, la sexualité même exercée dans le cadre du mariage reste suspecte. Par conséquent, c’est en dehors du mariage que se précise l’image du couple amoureux, comme celui formé par Héloïse et Abélard. Les grands mythes, tels celui de Tristan et Iseult, témoignent à la fois de l’intérêt porté à l’affection conjugale et de la méfiance à l’égard de la passion. L’amour ne peut se vivre que de manière clandestine ; il est un sentiment trouble incapable de fonder une relation conjugale véritable.
Il faut toutefois attendre les xve et xvie siècles pour que ces questions suscitent de multiples réflexions de la part des lettrés humanistes. Face à l’essor démographique spectaculaire qui suit les grandes épidémies de peste, ceux-ci dessinent les contours d’une nouvelle morale sociale valorisant le mariage et la famille. Ils incitent les hommes à entrer dans la vie conjugale sans crainte et sans préjugé, afin de sceller une relation privilégiée avec leur épouse. Avec des rythmes différents selon les pays, un effort pédagogique est mené en faveur des époux à qui l’on explique inlassablement leurs devoirs réciproques, leurs devoirs de parents et leurs devoirs de chrétiens.
Du mariage de raison au droit à l’amour…
En France, c’est au milieu du xviie siècle que cet effort est le plus soutenu. Mais si l’institution matrimoniale est désormais acceptée par tous, les critiques ne manquent pas. Elles convergent sur la manière dont les unions sont conclues. Les nobles et les bourgeois, soucieux de conserver ou d’agrandir un patrimoine, recherchent des dots et des noms prestigieux. La quête du sentiment s’oppose à la quête de la richesse et de la notoriété. Cette tension est si perceptible qu’elle est le sujet de prédilection de la littérature. Les pièces de Molière se finissent toujours par un mariage entre deux jeunes gens qui se sont choisis malgré la volonté paternelle. Quelques témoignages de vie disent également combien les mariages d’amour procurent de satisfaction. Un gentilhomme normand, Henri de Campion, évoque dans ses mémoires sa profonde originalité par rapport à son milieu social. Il n’a pas épousé une dot, mais une jeune femme bien éduquée, raisonnable et séduisante.Les mariages de convenance sont le lot des catégories sociales supérieures, alors que le reste de la population, moins fortunée, jouit d’une plus grande liberté. Pour preuve, l’âge des époux y est sensiblement le même et les mariages sont tardifs, conclus souvent après le décès des parents. Par conséquent, l’épouse n’est plus une jeune fille lorsqu’elle convole. De la même génération que son mari, elle peut lui tenir tête et nouer avec lui un compagnonnage de bon aloi. L’aspiration à trouver l’amour dans le mariage est une revendication majeure du siècle des Lumières. Une affaire retentissante oppose, en 1744, un jeune avocat, Charles de La Bédoyère, à ses parents qui lui reprochent de s’être marié sans leur consentement avec une actrice, mariage indigne de sa condition, prétendent-ils. Le fils argue du fait qu’il aime Agathe, enceinte de ses œuvres, et qu’en homme digne il lui doit protection ainsi qu’à son enfant. Son union est officiellement confirmée par le tribunal qui reconnaît ainsi le droit à l’amour.