Spiderman vit dans un petit village de l’Yonne où il fréquente la classe de maternelle petite section. La plupart du temps, il se dissimule sous la forme d’un petit bonhomme de 4 ans dont le nom est Léo.
Mais dès que la récréation sonne, Léo redevient Spiderman. À peine sorti, le voilà qui s’élance. Dans la tête de Léo, la cour de récréation est une grande ville qu’il survole, plongeant d’un bâtiment à l’autre, accroché avec ses fils magiques. Quand un méchant se présente sur son chemin, Spiderman surgit et l’atomise avec un rayon magique. Il met en déroute son ennemi en distribuant des coups qui font « pchhh », « kchh », « tfff ». La maîtresse le voit courir les bras en l’air, criant : « Attention, je suis Spiderman ! Je suis le plus fort. »
Parfois, Léo croise sur son chemin un concurrent, Clément, un autre petit bonhomme du même âge qui se prend aussi pour l’homme-araignée. Du coup, cela crée des conflits de légitimité et s’engagent alors des disputes pour savoir qui est le « vrai Spiderman ».
Prenez n’importe quelle classe de maternelle peuplée de gamins de 4-5 ans, il y a de fortes chances pour que vous croisiez quelques Spiderman, Superman et autres Power Rangers en miniature. Quand l’on demande aux enfants de cet âge : « Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ? », les superhéros arrivent souvent en premier chez les garçons. Et dans les rangs des filles, il y a forcément une ou deux princesses.
La plupart des enquêtes sur le sujet convergent. Les petits enfants aspirent souvent à se transformer en modèles « fantasmatiques » de superhéros ou de princesses. Souvent les rôles sont plus modestes – policier, pompier, docteur ou maîtresse. Est-ce à dire que les uns (les aspirants-superhéros) sont irréalistes et les autres plus réalistes ? Pas forcément : pour un enfant de 3-4 ans, le pompier est un personnage héroïque, avec son casque brillant, son gros camion rouge, et dont le rôle consiste à maîtriser le feu et à voler au secours des gens en danger.
Le temps de l’adolescence
Retrouvons maintenant ces mêmes enfants au lycée, une douzaine d’années plus tard. À quoi rêvent maintenant les anciens Spiderman, pompiers et princesses ? La théorie psychologique de l’orientation voudrait qu’en grandissant, l’enfant passe progressivement de l’imaginaire à la réalité (1). Cette adaptation au réel passe par une phase de découverte de soi (de ses envies et ses capacités) et de prise de conscience parallèle de la réalité et de ses contraintes. Avec l’âge, l’enfant s’est rendu compte que la carrière de Spiderman ou de cosmonaute n’est pas très réaliste et qu’il devra se replier vers des carrières plus prosaïques, adaptées à ses goûts, à ses capacités et au marché de l’emploi. Adieu les héros de l’enfance ! Il faudra se résoudre à un job plus raisonnable : informaticien, infirmier ou chauffeur de bus.
Mais à y regarder de plus près, la situation est plus ambiguë. Les enquêtes sur les projets d’orientation des adolescents ne confirment qu’en partie la thèse du réalisme progressif (2). Tout d’abord, on constate qu’à la fin de l’école primaire, vers 11 ans, l’aspiration des enfants vers les métiers « fantastiques » reste très élevée. Simplement, au lieu de vouloir être Spiderman ou Dora l’exploratrice, on veut être champion de foot ou star de cinéma (3). Quatre ans plus tard, vers l’âge de 15 ans, les adolescents sont-ils enfin passés à l’âge de raison ? Pas tout à fait.